Vreth venait de s'emballer dans un galop incontrôlable et chacune de ses violentes foulées m'arrachait une grimace de douleur. Je me mis alors à maudire ces terres tout en essayant de me saisir des rênes lâches de l'animal, sans grand succès. Dans sa folie passagère, il alla même jusqu'à donner un coup de cul, ce qui me fit chanceler avant que je ne m'agrippe à son encolure chaude à cause de efforts qu'il fournissait actuellement. Je ne bougeai plus, m'efforçant de rester sur son dos, les bras serrés tout contre lui, tandis que de mes yeux commençaient à couler des larmes. « S'il te plaît Vreth, arrête-toi, je t'en supplie, cesse donc. » Lui murmurai-je. Mais il n'en fit rien ; il ralentit l'allure seulement quand bon lui sembla. Il continua à marcher dans un pas vif et déterminé, alors que je n'osais toujours pas me relever. Mon corps meurtri n'avait que trop souffert de cette course effrénée. Puis, soudain, il s'arrêta, relevant la tête. Je me laissai alors tomber lourdement sur le sol, glissant de son dos. La chute fut aussi rude que je l'avais craint. Je me fis rouler sur le dos avant d'écarter chacun de mes membres, gisant-là, lamentablement. L'animal s'ébroua avant de venir souffler doucement contre mon visage. Il se mit ensuite à brouter, se requinquant de ses dernières émotions. Il me jetait de temps à autres un petit regard, comme s'il s'assurait que je n'étais pas mort. Il revenait même parfois vers moi, semblant se demander pourquoi je restais là, aplati, sans bouger. Il ne pouvait pas comprendre ce qui venait de se passer, ce n'était qu'un cheval. Certes, un très loyal et courageux cheval mais... il restait un animal. Et d'une façon, je l'enviais. Ses plus grands soucis étaient futiles face aux miens.
J'observai longuement le ciel bleuté, se cachant derrière quelques nuages. Qu'est-ce que je pouvais faire, désormais? Je l'ignorais. Sans doute la réponse était-elle ; rien. Je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais, si les gens ici étaient hostiles et à vrai dire, je n'étais pas sûr que quelqu'un habite dans les parages. Il ne me restait plus qu'à me laisser mourir là ou attendre que quelqu'un ne m'achève. Je soupirai longuement. Cela devait être tout ce que je méritais ; la mort. Ah, c'était bien trop doux comme punition! Mais pour quelles fautes? Eh bien... Je crois que je ne les oublierai jamais.
Depuis plusieurs années - cinq pour être précis - je voyageais avec la même compagnie. Ils étaient parfois bourrus, bornés et violents mais se montraient le plus souvent heureux et sympathiques. Quand ils étaient arrivés en mes froides contrées, ils avaient avoué chercher un barde. Ne m'étant jamais attaché à une quelconque compagnie, préférant travailler seul, je ne leur prêtai pas attention. C'était sans compter sur leur entêtement quasi légendaire ; ils avaient décidé que je viendrai avec eux. Ce que je fis, après qu'ils m'aient saoulé durant trois soirées consécutives, me menaçant de rester éternellement si je ne les suivais pas. Je leur avais pourtant expliqué que je manquerai à ma famille - ma mère, mon père, mes cousins, mes oncles, mais surtout à mes deux petits frères Runi et Cinead. Le premier marchandait souvent avec les nains, aidant mon père dans ses affaires tandis que le deuxième travaillait pour un dresseur de chevaux - Vreth provient d'ailleurs de son élevage. Nous étions une simple famille, vivant tranquillement, sans histoire. Mais il fallut que je croise cette compagnie - La compagnie du chien rugissant, pour être précis. Pas que je les détestais, loin de là! Malgré mon caractère froid et solitaire, je tenais à chacun d'eux comme à la prunelle de mes yeux car nous formions une famille. Même si quelques uns avaient des différents avec d'autres, nous restions soudés et fort d'un amour mutuel qui nous rendait redoutable. Car même si je ne suis "que" barde, je sais très bien me défendre, notamment à l'aide d'un arc. Ils m'éloignèrent donc de ma véritable famille, bien que j'en formais désormais une avec eux.
Je les suivais avec plaisir dans leurs diverses aventures, sortant plusieurs fois mes compagnons de mauvais pas dans lesquels ils tombaient souvent, grâce à leur impulsivité et leur grande gueule. Ils m'appréciaient énormément pour mon sang-froid exemplaire, bien qu'ils me reprochaient souvent de ne montrer que trop peu mes sentiments et ne pas bavarder assez avec eux. Pourtant, ils étaient les plus proches de moi, après mes parents et mes frères. J'ai toujours été comme ça. J'éprouve du mal à partager les choses que je ressens et n'ai jamais éprouvé le besoin de bavarder de tout et de rien avec mon voisin. Parait-il que je suis trop sérieux, terre à terre et que je manque même parfois d'humour. Mais d'autres de mes traits de caractère font de moi un homme de qualité, bien que je ne m'en vante pas.
Depuis quelques mois, nous nous dirigions vers les terres de l'Ouest. Folker, le chef de la compagnie, avait entendu parler d'une compagnie de nains se lançant à la recherche du trésor perdu d'Erebor. Curieux, il nous avait proposé de partir à la conquête de ces lieux méconnus - nous y avions déjà fait quelques haltes mais la plus part du temps, nous restions dans l'est. Mais nous n'y trouvions rien de bon. Le voyage se déroulait d'abord plutôt bien, bien qu'éprouvant vu sa longueur et les quelques dangers que nous avions dû braver. Le pire d'entre eux venait d'arriver. Nous nous étions fait attaquer par une énorme caravane de bandits de la pire sorte, bien plus nombreux que nous. Alors que je voyais tomber mes frères, que la panique animait tout mon être, je me fis assommer par un violent coup sur l'arrière du crâne. Quand j'ouvris enfin de nouveau les yeux, je me maudis de ne pas être mort. Il aurait mieux valu.
Leurs rires gutturales se mêlaient à mes gémissements, qui se transformaient par moment en hurlement. Je ne comprenais pas comment une âme humaine pouvait abriter tant de cruauté ; pourquoi me tourmentaient-ils donc autant, alors que je n'avais rien à leur apporter? Je leur aurais donné volontiers tout nos vivres, nos chevaux, nos vêtements s'il le fallait, contre la vie de mes compagnons et ma propre existence. Les quelques survivants, soit enfermés dans une cage, soit enchaînés, m'observaient avec peine, tandis qu'ils tuaient du regard mes tourmenteurs. Ceux qui étaient déjà passés entre leurs mains de bourreaux gisaient un peu plus loin, méconnaissables et sans plus une seule once de vie.
Mais les chiens rugissant sont connus pour leur courage sans faille, leur entêtement légendaire et leur détermination hors du commun. Dans un même geste, ceux enchaînés les uns aux autres s'étaient levés comme un seul homme. Pris au dépourvu, les malfrats se retrouvèrent quelques instants en mauvaise position. Je ne comprenais pas ce qui leur avait pris ; ça ne ferait qu'aggraver leur sort! Les autres bandits se trouvant un peu plus loin levèrent le regard vers la partie du campement où nous nous trouvions et rappliquèrent rapidement, tandis que mes compagnons rouaient leurs confrères de coup. Abhainn, l'homme avec qui j'avais le plus d'infinité me releva, ayant brisé ses chaînes grâce à l'arme d'un de nos geôliers et, m'aidant à me relever, me hurlait qu'il fallait que je parte. « Mais Abhainn, je ne peux pas vous laisser, je... » « FERME-LA ET DISPARAIS! » m'avait-il répondu, s'époumonant contre ma personne, ses pupilles brûlant d'une rage qui m'angoissa. Il me poussa en me malmenant jusqu'à nos chevaux, me hissa sans me demander mon avis sur le mien et lui asséna une grande claque sur la croupe après l'avoir détaché, ce qui eut le don d'effrayer l'animal qui, déjà affolé par la situation, partit comme une furie. J'eus à peine le temps de me retourner, que je vus fondre un de nos assaillants sur lui, alors qu'il essayait de défaire les liens retenant sa propre monture. M'éloignant à grande vitesse à cause de l'allure frénétique de l'hongre, j'entendis leurs cris s'évanouir peu à peu dans la nuit. Je voulais faire demi-tour, même si cela signifiait m'engouffrer vers une mort certaine, je ne pouvais pas les abandonner, c'était impossible pour moi. Mais Vreth était sourd à toutes mes demandes, martelant le sol de ses sabots, hennissant parfois de peur, ne trouvant que la fuite comme échappatoire.