Mon histoire ne devrait jamais être racontée. Car j’appartiens à un monde secret et interdit. Un monde qui, privé de ses mystères, ne peut survivre. Je suis née il y a de cela 3500 ans, dans la belle ville de Lumière, la Capitale de Taur-nu-Fuin, non loin de la rivière enchantée. Je vis le jour en l’an de grâce 2882 du Second Age, sous le règne de Thranduil, Elfe de la Forêt Noire. Je n’ai jamais vraiment connu mon père qui mourut alors que j’étais âgée de quatre ans. Ma mère, je n’eus pas non plus le loisir de la connaître davantage. Je fus élevée par une nourrice après que ma mère soit morte en me donnant le jour et on veilla à ce que mon éducation soit parfaite en tout point. Autant dire que ma vie commençait bien. Si j’avais pu me douter à cet instant le chemin que j’allais parcourir. Je grandissais et de bébé, je passais à jeune enfant. J’étais douce et calme et ne posais guère de problèmes à ceux qui m’enseignaient l’art de la conversation, de se tenir, de monter à cheval ou même de chanter, contrairement à d’autres rejetons plus tapageurs que moi. Je ressemblais à un ange descendu des cieux me disait-on, avec ma longue chevelure ébène et mes yeux d’un bleu d’azur. La vie était douce en ce temps-là et la Forêt Noire une terre de seigneurs. Cependant, je grandissais et montrait une vivacité d’esprit et une volonté d’apprendre hors du commun.
L’enfance passa comme un rêve et je devins une jeune adolescente pleine de rêves et d’espoirs. On disait de moi que j’étais comme l’eau. L’eau peut se frayer un chemin même à travers la pierre. Et quand elle est prise au piège, elle trouve toujours un nouveau passage. Je lisais les livres interdits, écoutait les musiques des grands compositeurs. Je m’entraînais au chant, ayant la folle espérance de pouvoir un jour devenir chanteuse et vivre de ma musique. Les pays limitrophes me paraissaient emplis de choses passionnantes, de personnes de qualité. Naturellement, je conservais en permanence, le visage froid et austère qu’une princesse elfe se doit d’arborer en permanence. Mais sous ce vernis, j’étais et reste une personne de passions et d’impulsivité. Je reçus nombre de propositions pour obtenir ma main. Mon tuteur refusa soigneusement les offres, prétextant qu’un meilleur parti se présenterait certainement. J’occupais mes journées à mes goûts littéraires en attendant avec peine le mariage que je voyais comme une prison. Ma seule distraction était la possibilité de m’entraîner aux arts de la guerre, du combat et à l’équitation. Jusqu’à ce fameux jour… Ce matin-là , je reçus une lettre de ma sœur ainée, Tatiana, qui vivait à Imladris, une terre nouvelle créée par le grand Elrond. Ma sœur me proposait de la rejoindre afin de goûter aux joies de la culture si fine et raffinée me disait-elle. Avais-je le choix ? Je rassemblais donc les effets m’appartenant et je montais mon étalon blanc qui devait m’emmener, moi ainsi que ma suivante, vers notre nouvelle vie. Le voyage fut éprouvant.
La traversée de ces terres dura un mois. Le temps semblait ralentir. Lorsque je posais le pied sur cette nouvelle terre, je ne sais si ce fut une profonde nostalgie de mon pays, ou l’excitation de la nouveauté qui me saisit la première. Toujours est-il que nous fûmes bien accueillis. Les yeux des elfes venus pour notre arrivée, brillaient. J’avais 380 ans et déjà une expérience des hommes. Mes amants que je choisissais avec le plus grand soin, étaient abandonnés rapidement. Je protégeais farouchement ma réputation sans tâche. Dès le lendemain de mon arrivée, je me mêlais aux grands, guidée par ma sœur, qui me présentaient les têtes couronnées et puissantes. Je fréquentais les salons dont les conversations brillantes sur les sciences et la philosophie me remplirent d’admiration et d’intérêt. Mais les événements extérieurs inquiétaient Elrond. Sauron, le serviteur de Morgoth, avait été fait prisonnier et ramené sur la terre des Numénoriens. Elrond présageait une sombre destiné. Sauron avait plus d’un tour dans son sac. Je restais de nombreuses années à Imladris, profitant de la sagesse de mes aînés. Jusqu’à ce que ce qui devait arriver arrive. Sauron trompa le Roi et provoqua la chute de Numënor. Les Hommes n’étaient pas aussi sages et puissants qu’ils l’avaient espéré. Elendil et ses fils survécurent et accostèrent sur les rivages de la Terre du Milieu, créant peu de temps après les royaumes du Gondor et de l’Arnor. Ces royaumes ne connurent qu’une centaine d’années de paix jusqu’à ce que Sauron, qui lui aussi avait survécu à la catastrophe de Numénör, attaque Minas Ithil et ne la prenne. La Dernière Alliance des Elfes et des Hommes se constitua. Je pris part aux combats qui firent rage. J’en garde un souvenir aussi précis que si cela avait eu lui hier. Les morts, les agonisants et les orcs qui faisaient des ravages. Cette guerre dura plus de vingt ans. Lorsque Sauron fut vaincu par Elendil et Gil-Galahad, tout fut terminé. Du moins, le pensions-nous.
Durant cette trêve bienvenue, je commençais à voyager à nouveau, me mêlant aux contrées des Hommes, et remontant jusqu’à Bree. Je savais que tout cela n’allait pas durer. Comme bon nombre d’elfes redoutant la catastrophe. Nous avions trop souvent sous-estimer Sauron. Les années s’écoulèrent et ce fut aux environ de l’an 1000 du Troisième Age qu’apparurent les Istaris. J’eus le privilège de rencontre celui que l’on nomme Mithrandir et sa sagesse m’impressionna. Nul ne savait d’où ils venaient car eux-mêmes ne confiait ce secret à quiconque.
Je menai ainsi ma vie, rencontrant des gens de qualité et je sentais mes réserves et ma froideur disparaître à vue d’oeil. Je recevais régulièrement des lettres de ma famille restées dans la Forêt Noire qui m’enjoignaient de revenir au pays, que mon futur fiancé s’impatientait de mon retour, attendant de se marier en grande pompe. Ma famille me manquait terriblement mais je ne souhaitais nullement retourner dans cette cage dorée. La vie de guerrière me convient. Les Nazgûls étaient de retour et le Roi-Sorcier d’Angmar fit encore beaucoup de mal à mon peuple. Les humains se déchiraient pour des guerres de pouvoir jusqu’à ce que la lignée royale s’éteigne et que seuls les Dunedains du Nord constituent des descendants de l’ombre de la gloire d’antan. De mon côté, je continuais à voyager, guerrière au service d’un idéal que je pensais réalisable. Je me trompe peut-être. La tempête approche… Et lorsque l’Ombre Noire de l’Est se lèvera, je ferai partie de ceux qui se trouveront sur son chemin…