“Savoir sourire : quelle force d'apaisement, force de douceur, de calme, force de rayonnement !” Guy de Larigaudie
Dans les tréfonds de la Montagne Solitaire luisait la lueur éternellement jaune émanant des monceaux d’ors caché là depuis des centaines d’années. Au milieu de cette lumière presque semblable au soleil était assis le nouveau roi des nains. Une ombre dans la lumière se plaisait-il à mentionner lorsqu’on lui faisait remarquer qu’il risquait de perdre esprit comme son grand-père avant lui à rester là à attendre. Le mal du dragon, il en avait souffert promptement et il ne s’était pas fait tellement sentir. Il faut dire que la mort de Fili et Kili l’avait tellement pris de court et poignardé au cœur que la maladie fatale n’avait pas eu le temps de s’étendre. De fait, il était là assis sur les marches de marbres noirs à contempler le trésor de son grand-père comme s’il ne s’agissait que de quelques futilités. Non, ce n’était pas le mal du dragon qui rongeait ses entrailles, mais un tout autre mal, tout aussi néfaste pour lui et pour les autres. La vengeance le faisait vivre, il aurait la peau de ce mage bleu qui avait envoyé ces infâmes créatures le priver de ses chers neveux, de ses presque fils. Les nains avaient bien essayé de le maintenir la tête hors de l’eau, Bilbon lui-même avait essayé, mais le succès n’avait été au rendez-vous que pour une trop courte durée. Daìn, à son arrivée ici, lui avait farci le crâne d’affaires pressantes, mais le nain brun n’était jamais qu’à demi présent. S’il n’était assis en face de l’or, il était aux tombeaux. S’il n’était aux tombeaux, il se trouvait alors assis sur son trône dans la salle centrale à contempler le vide. Ou encore, on pouvait le trouver à s’échiner sur quelques créations de forge, allant jusqu’à s’épuiser à la tâche. D’ailleurs, il n’avait plus aucune notion du temps et encore moins de la présence des gens. Dans sa tête tournait et retournait la scène d’agonie de son propre sang, déchirant une fois encore le peu de cœur qu’il lui restait encore. Parfois, on pouvait voir une larme roulée solitaire le long de sa joue et s’éteindre dans sa barbe qui ne s’étoffait guère. Balin le lui avait faire remarquer un jour qu’il avait promis de laisser pousser sa barbe lorsqu’il serait roi, mais si ce trône il l’avait conquis en noyant le dragon dans l’or, il avait payé cet exploit à un prix bien trop cher.
Alors qu’il mordillait un coin de peau de son pouce droit le regard dans le vide, mais pour tout autre posé sur un énorme rubis, il entendit raisonner au loin de lourd pas pressé. Un instant plus tard, ce fût la voix de Dwalin qui le sortit de sa demi-torpeur mentale. Alors l’héritier de Durìn daigna poser sur son vieil ami son regard bleu pourtant vide de toute lueur d’émotion. Il ne desserra même pas les dents, l’invitant silencieusement à lui faire part du motif de sa visite qui manifestement le dérangeait. « L’escorte des Ered Luin est en vue. » L’un de ses sourcils se haussa, comme bien trop souvent maintenant, il n’avait qu’à moitié entendu ce qu’il disait, qu’à moitié fait attention serait plus exacte. « La future reine. » Son visage prit la moue habituelle de la personne qui finalement comprend de quoi il en retourne. La future reine… Oui, il se souvenait maintenant de ce conseil où il était encore sous le coup de la mort de ses neveux. Il se souvenait du débat houleux qui avait divisés les nains pour le pousser ou non à se marier. Quelle folie… Se marier ? Il y avait songé de nombreuses années auparavant, il n’avait encore qu’une vingtaine d’année et il était amoureux comme jamais plus il ne le fût. Hélas, comme nombre de ses compatriotes, la naine avait péri du feu du dragon. Elle était aujourd’hui vengée certes, mais il ne songeait pas à prendre femme. Pourtant, il admettait sans peine que sans cela la lignée directe s’éteindrait et que c’était dès lors raisonnable. Il n’avait que hoché la tête lorsqu’on avait sollicité son avis, au ravissement de son cher cousin. Au conseil suivant, il fallut désigner « l’heureuse » élue, parmi quantité de jeune demoiselle méritante. La tâche lui fût plus compliqué qu’il ne voulait l’admettre, car désigner une naine pour le supporter dans sa dépression, dans les tâches de gouvernances, pour porter ses enfants lui arrachait un peu l’âme au fur et à mesure qu’on énonçait des noms. Toutes jeunes, toutes belles, toutes dans la fleur de l’âge et lui… Lui proche de la vieillesse, ô combien plus vieux qu’elles, des enfants rien de plus. Mais, il avait choisi… il l’avait choisi elle, sans réellement savoir pourquoi sur le moment. Pourquoi venait-il de condamner la jeune femme à pareille vie de cauchemar, alors qu’elle était probablement une enfant qu’il appréciait beaucoup.
Toujours était-il qu’il ne pourrait faire marche-arrière, les fiançailles étaient annoncées, les partis avaient signé par l’intermédiaire des corbeaux et c’est en future reine qu’Amalthea Bluesteel entrerait dans quelques heures en Erebor. Il se souvenait pourtant encore d’avoir raconté à cette petite fille tant d’histoires qu’il contait à ses neveux. Devait-il vraiment remonter pour l’accueillir ? Il avait bien été absent lors de l’arrivée de la veuve de Fili… Non pas que ce fût volontaire, c’est que les gens n’avait su le retrouver avant que la naine ne passe les portes. Un long soupire s’échappa de ses lèvres avant qu’il ne se décide à se lever de son siège de fortune et de jeter un regard circulaire à l’or ici présent, seul témoin de sa folie vengeresse grandissante. « Allons-y alors, Dwalin, puisqu’il le faut. » Il ne leur fallu que quelques minutes pour remonter au palais où il troqua ses vêtements de forge pour une tenue plus royale. Balin lui posa une fois encore la couronne sur la tête et avec elle un poids sur les épaules insoupçonné pour son entourage. Il se sentait ainsi alourdi par tant de fourrure et d’atour, mais le pire restait sur sa tête. Malgré son manque d’empressement, la haie d’honneur pour l’accueil de la demoiselle des Ered Luin était prête avant même qu’elle n’arrive, bien plus d’une demi-heure avant que le premier nain de l’escorte ne pointe le bout de sa barbe. Falbalas, musiques pompeuses, toute cérémonie protocolaire qui ne l’aidèrent pas à rester ici-bas, puisqu’une fois de plus son esprit s’évada dans ses plans irréalisables, jusqu’à ce que le seigneur des Ered Luin lui-même ne se présente à lui, le saluant avec le respect dû et échangeant les paroles protocolaires : condoléances, félicitations et ovation de son courage et de celui de ceux qui l’accompagnèrent dans cette courageuse quête. Le roi posa sa main droite sur son cœur et inclina légèrement la tête sur la gauche pour ainsi lui servir ses remerciements et appréciation de ses paroles. Alors, vient la jeune naine, qui n’avait pour ainsi dire pas changer depuis la dernière fois qu’il l’avait vue en quittant les Montagnes Bleues pour reprendre cette cité chère à son cœur. « Ma dame, c’est grand joie de vous revoir et de vous accueillir au sein de ma mère cité. Votre beauté n’a fait que grandir en une année et je me trouve bien heureux de vous avoir pour noble et fière fiancée. » Le tout sur un ton monocorde à faire pâlir un mort. S’il pensait ce qu’il disait pour la moitié, il était encore cependant tourmenté par ce qu’il infligeait à la jeune femme. « Recevez mes plus aimables respects. Avez-vous fait bonne route ? »
“Savoir sourire : quelle force d'apaisement, force de douceur, de calme, force de rayonnement !” Guy de Larigaudie
Un dernier regard jeté en arrière elle comme un salut à ces montagnes qu'elle voyait s'éloigner à vue d'oeil. Sa maison, la seule qu'elle n'ait jamais connu à vrai dire, elle qui était née ici comme tant d'autres nains me direz-vous. Mais pour ceux qui avaient du quitter Erebor des décennies plus tôt, ces mêmes montagnes gardaient malgré leur beauté un goût amer. Celui de l’exil forcé et ce goût là son père l'avait toujours ancré en lui même si avec le temps il s'était considérablement estompé. Et même si la nouvelle de la reconquête de la grande cité des Nains était synonyme de réjouissances et de joie, cette dernière était pourtant tout aussi teintée de peine et de douleur. Combien étaient tombés pour en arriver là ? Un sacrifice que bon nombre d'entre eux étaient prêts à faire, elle le savait mais son coeur était lui aussi encore lourd depuis qu'elle avait appris la mort de ses amis d'enfance. Cependant elle ne se laissait pas abattre pour autant car c'était un âge nouveau qui pointait le bout de son nez. Ou du moins l'espérait-elle à présent qu'un certain équilibre s'était rétabli en Terre du Milieu même si la situation était encore loin d'être aussi paisible qu'on pourrait l'espérer. Oui, en tant que fille du seigneur des Ered Luin, toutes ces choses faisaient partie des préoccupations de son père et par conséquent les siennes, encore plus à présent qu'elle était fiancée au roi des Nains. Bien sûr les fiançailles étaient avant tout politique et elle le savait, la lignée des Durins devait se prolonger surtout à présent qu'Erebor était à nouveau sous le contrôle du peuple nain mais elle était malgré tout heureuse d'avoir été choisit pour cet honneur. Oh elle était parfaitement consciente que ça ne serait pas une tâche facile, vu les circonstances mais elle espérait pouvoir utiliser à son avantage le fait que contrairement à d'autres, elle connaissait le roi pour avoir longtemps été à ses cotés lorsqu'elle était encore une enfant qui suivait ses deux neveux comme leur ombre.
Il s'en était passé des années depuis cette époque là. Une vie presque lui semblait-il parfois. Elle était loin cette petite fille qui courait partout par soif de découvrir tout ce qui l'entourait et qui adorait jouer avec ses frères. Aujourd'hui elle était une jeune naine dans la fleur de l'âge qui avait depuis longtemps compris quelle était sa place au sein de sa famille et ce qu'on attendait d'elle. C'est aussi peut-être bien pour cela qu'en un sens, ses fiançailles ne l'avaient pas tant dérangées en sachant qu'elle aurait pu tomber sur bien pire que Thorin comme futur époux. Car ça n'était clairement pas par ambition qu'elle avait accepté que son père suggère son nom lors du conseil qui s'était tenu pour régler cette question. Non, bien que n'ayant jamais manqué de rien puisqu'elle était la fille du seigneur des Montagnes Bleues, Amalthea n'était pas une naine vénale ni manipulatrice, ce qui bien sûr la différenciait de la plupart des autres prétendantes à la noce. Non, dans son souvenir, le nain était grand et fort, toujours souriant quand il s'occupait d'elle et de ses neveux en leur racontant des histoires ou en parlant des batailles qu'il avait livré. Et c'était peut-être aussi pour ça qu'elle avait accepté de devenir sa femme. Parce qu'elle espérait bien pour l'avenir du royaume que ce nain là n'était pas totalement mort à présent, remplacé par cette figure fermée et toujours triste qu'elle savait qu'il arborait à présent. Oh non pas qu'elle renie son deuil, loin d'elle cette idée mais elle ne voulait pas abandonner cet espoir même s'il y avait une forte chance pour que même toute sa douceur et sa patience ne puisse réparer les dommages laissés sur cette âme par la perte de ceux qu'ils aimaient sûrement le plus au monde.
Mais à présent qu'elle arrivait aux abords de la grande cité, elle sentait une légère boule de nervosité poindre au creux de son ventre. Cela faisait une année qu'elle n'avait plus vu le nain et elle savait aussi ce qui l'attendait dès lors qu'elle arriverait. Mais le protocole, elle s'en acccomoderait, elle avait été élevée pour pouvoir le suivre à la lettre sans sourciller et elle s'y plierait sans broncher. Non, ce qui lui causait cette sensation c'était plutôt la peur de l'échec. Ne s'était-elle pas fixé un objectif trop grand ? Pouvait-elle encore l'empêcher de sombrer dans cette obscurité qui semblait déjà le happer vers elle ? Mais lorsque son regard se posa sur la vue qu'elle avait depuis sa position, elle su qu'elle y parviendrait car elle ne pouvait laisser un tel endroit se perdre à nouveau dans l'oubli. Le moment de doute s'était évaporé et elle laissa ses compagnes de voyage parfaire les derniers détails de sa tenue et de sa coiffure alors qu'ils arrivaient à destination. Prenant place à la suite de son père, ce dernier présentant officiellement les condoléances de leur contrée à leur roi comme il se devait et elle s'avança quand vint son tour, léger sourire aux lèvres avant de s'incliner devant son fiancé pour lui montrer ses respects. « Majesté, la joie est toute mienne que d'être ici en ce jour alors que vous me faites l'honneur de devenir votre épouse. » Il n'y mettait pas d'entrain mais ça ne la dérangeait pas, elle en aurait pour deux s'il le fallait. « Je les accepte bien volontiers et j'avoue que le voyage fut long mais des plus agréables puisque j'ai pu découvrir des paysages inconnus jusqu'à lors pour ma personne. » répondit-elle en souriant et ça n'était que la plus stricte vérité. « Et j'aimerais moi aussi offrir mes respects, ainsi que mes sincères condoléances pour votre perte. » dit-elle en baissant doucement la tête, le souvenir de ses amis était aussi encore pénible pour elle ne l'oublions pas.
“Savoir sourire : quelle force d'apaisement, force de douceur, de calme, force de rayonnement !” Guy de Larigaudie
La cité d’Erebor n’était encore que l’ombre de ce qu’elle fût, malgré le nombre croissant de nains qui revenaient y vivre, certains avaient encore beaucoup de kilomètres à parcourir pour réintégré ses murs, comme la naine devant lui. Les travaux allaient bon train, en même temps, c’est jour et nuit que les architectes et ouvriers déjà présent travaillaient à la restauration de la grande cité de la Montagne Solitaire. La vie était rude ici et ce malgré que les anciens accords commerciaux aient repris depuis quelques temps et que leur relation avec les elfes se soient amélioré avec le marché conclu avec Thranduil. Il demeurait cependant une atmosphère encore pesante en ces lieux et elle ne s’en irait pas avant un long, très long moment. Le deuil était encore trop présent un peu partout. Entre ceux qui avait appris le sort de certains de leur aïeux demeuré à Erebor et décédé acculé comme des rats entre ces murs, ceux qui pleurait la perte de la famille royale, amputé de ses deux plus jeunes membres et en définitive tout avenir radieux pour l’instant semblait disparu. Les étendards noirs flottaient un peu partout, bien que Thorin avait demandé à ce qu’un sur deux soit changer en faveur des couleurs de sa maison pour l’arrivée de la délégation des Ered Luin, afin tout de même de garantir un accueil à la hauteur du rang des gens qui venait ainsi sous la Montagne. Pour ce qu’il pouvait juger de la mine des gens qui assistait à l’arrivée de la noble fiancée, cela était un beau jour, car plus d’un arborait un visage souriant voir joyeux.
Elle était incontestablement belle et radieuse, mais jeune, si jeune. Pendant un instant, le souverain nain ne put voir en elle que cela : sa jeunesse. Cependant, il se remémora les paroles de Balin au sujet de leur peuple si pauvre en femme et qu’il était donc par conséquent normal qu’il ait une épouse avec une si grande différence d’âge. Ses réflexions aussi sombres puissent-elles être restèrent caché derrière son impassible visage comme figé dans le marbre des grandes salles d’Erebor. L’honneur d’être la fiancée du roi, oui, peut-être était-ce un honneur, mais c’était avant tout un fardeau et elle risquait de s’en rendre compte promptement. « L’honneur est surtout mien, car vous auriez pu refuser. Je me vois confié la plus charmante demoiselle de notre illustre royaume, j’espère que je serais digne de votre charmante personne à défaut de votre jeunesse. » Un léger raclement de gorge se fit entendre dans son dos et il ne fallait pas être expert pour savoir de qui cela venait. Il avait sans doute commis une petite faute en exprimant relativement publiquement ses réticences quant à la jeunesse de sa fiancée, mais il faut dire que le mensonge n’était pas le point fort de notre roi sous la Montagne. « Pour les avoir vu de mes yeux, je ne peux que m’accorder avec vous sur ce point. Il est des paysages en ce monde qui mérite que nous sortions de nos demeures de pierre. Dommage que le monde ne soit pas plus sûr. » En cela, il en connaissait quelque chose, entre les batailles menés à la Moria, le voyage semé d’embûche pour reprendre la Montagne et le dragon… il s’y était rajouter entre temps ce fameux mage bleu qu’il haïssait désormais plus encore qu’il n’avait hait Smaug. « Je vous remercie de votre sollicitude. Mon cœur saigne comme si j’avais perdu des fils, le monde sait à quel point je les considérais ainsi. » Et c’est peut-être aussi là qu’était le souci. Il venait de perdre des enfants et on lui envoyait une femme pour lui en donner de nouveau, se sentait-il incapable d’aimer des enfants à nouveau ? Cela l’avenir le dirait seulement.
Ils n’allaient cependant pas rester tous planter comme des piquets devant les nouvelles portes d’Erebor jusqu’au coucher du soleil, aussi prit-il la liberté de relever la tête de la naine en passant un doigt sous son menton. « Nous aurons tous le temps de les pleurer ensemble, mais aujourd’hui, on m’assure que ce doit être un jour heureux. Allons, venez, je vais vous montrer quelques beaux endroit de cette grande cité avant le banquet de ce soir et bien sûr rapidement, je ne voudrais pas vous épuiser d’histoire après un si long voyage. » Il lui présenta ensuite son bras avant de se mettre en route suivit de bien trop de monde à son goût. Il se doutait que nombre d’entre eux souhaitaient voir une seule et même chose. Cela leur inspirerait sans doute de la fierté, peut-être qu’il l’assommerait encore de compliment et de louange sur sa bravoure et celle de ses compagnons, mais il n’en avait plus cure depuis. Ainsi, la délégation royale entra dans la galerie des rois dont le sol était désormais un vaste tapis d’or solidifié avec en son centre, le dragon. Les feux allumés sur les colonnes faisaient danser des milliers de nuances d’or sur la bête figée pour l’éternité. « Admirez mes chers amis, la première et principale des calamités de notre peuple. Resplendissant pour l’éternité. » Avec lui, le poids de ses épaules se raffermit, il repensa que c’était pour avoir tué cette bête qu’il avait perdu ses neveux, comme un prix à payer.