i'm not good. but i think i've evolved ✖ thoniel

J’ai acheté une nouvelle maison, dans les bas-fonds. C’est horrible à dire, n’est-ce pas ? Horrible que je suis de ne pas être capable de partager celle dans laquelle j’héberge Niniel. Oui, c’est vraiment affreux. Je passe la voir plusieurs fois par semaines, je passe la voir souvent, et nous dînons ensemble. Nous nous apprécions, comme deux amis, mais je ne veux pas qu’on puisse me suivre et la découvrir. Les choses au palais sont compliquées, les conseillers du roi sont compliqués. Tout est bien trop compliqué, et les intrigues de cours ne font rien pour arranger les choses. Mes ennemis ne font rien pour arranger les choses. Et, je ne veux pas… Non, je ne veux pas qu’un jour, quelqu’un découvre cette maison et son occupante, et puisse se dire des choses horribles. Comme … Comme que j’entretiens une maitresse dans une maison qui m’appartient. Non, je refuse qu’on puisse porter atteinte à l’honneur de Niniel à cause de moi. C’est hors de question, vraiment hors de question. Pourtant, j’ai rompu cette règle de ne parler d’elle à personne, car d’un certain côté, je me sens responsable d’elle, j’ai besoin qu’elle aille bien et qu’elle soit en sécurité. Alors, j’ai demandé à l’un des novices de mon organisation de la suivre, et de n’intervenir qu’en dernier recours. Par contre, il doit me signaler toute chose qu’il trouverait suspecte. Alors, quand ce matin, mon petit novice entre dans mon bureau, après s’être glissé dans les couloirs pour m’expliquer la scène de la veille au soir. Mon regard s’assombrit immédiatement, et je me relève pour aller indiquer à mon sous fifre préféré que je sors pour la journée, avant de renvoyer mon petit novice.

Une fois cela  réglé, je monte me changer, et enveloppe la garde de Ringil de vieux morceaux de chiffons. Une fois vêtu comme un homme normal, sans aucun des aspects extérieurs de mon rang, j’en profite pour mettre un capuchon qui cachera mes traits, avant de sortir du palais par la porte des serviteurs, et de rejoindre ma maison. Enfin, celle de Niniel. J’entre sans frapper, car après tout, c’est chez moi aussi, et je me dirige vers le petit salon pour saluer la demoiselle qui se trouve là :

- Bonjour mon amie. Comment allez- vous ?

Un rire monte à ma poitrine et je secoue lentement la tête de droite à gauche avant d’entrer dans la pièce, un air profondément amusé sur le visage. Moi, faire peur ? Oh, elle n’a donc jamais rencontré Danel Cenak et toute sa clique de petits fidèles, celle la… elle ne me dirait pas que je fais peur. Moi … Oh, moi je ne suis qu’un ours en peluche à côté de Danel. Un véritable ours qu’on cajole et avec lequel on joue, pendant que lui est un vrai requin, prêt à vous dévorer.

- Ce n’était nullement mon intention.

Je lève les yeux au ciel alors que la demoiselle me parle de la tasse qu’elle aurait pu casser si elle en avait eu une entre les mains. Allons, ce n’est pas si grave. Ce n’est qu’un simple minuscule petit objet. C’est remplaçable. Les êtres humains, par contre, ils sont loin d’être remplaçables. Je souris, et je secoue lentement la tête de droite à gauche avant de répondre à la demoiselle :

- Un drame ? Allons, j’en aurai volé une autre au palais. Ils ont tellement de services dépareillés qui s’entassent dans un coin, là-bas, que je suis tout à fait sûr que personne n’ira vérifier qu’il en manque une ou deux. Comment croyez vous que j’ai eu toutes ces assiettes ébréchées qui sont dans la cuisine ? Ce n’est pas en faisant moi-même la vaisselle. Nana est tout simplement impossible là-dessus, elle dit que je serais capable de casser un nourrisson si on me le mettait dans les mains.

La demoiselle finit néanmoins par répondre à ma question, et je me contente de croiser les bras, l’observant avec une légère inquiétude qui transparait sur mon visage. Allons bon. Comment est-ce donc possible qu’elle me mente comme ça, hein ? Un sourire remonte sur mes lèvres, et je me contente de hausser les épaules.

- Oh moi … Hé bien, j’ai appris par un de mes novices que vous vous étiez battue, hier je me suis fiancé, mes ennemis sont toujours présents à la cours et ils ne vont pas aimer ça, mais surtout, je suis profondément déçu que vous trouviez inutile de m’avertir lorsque vous êtes en danger, mon amie, et que je doive attendre le lendemain pour qu’un de mes novice vienne m’annoncer la nouvelle… Vraiment, je suis blessé. Je pensais que nous nous disions tout.

Je m’installe sur ces mots sur le canapé qui se trouve là, et je tapote la place à mon côté pour la faire venir ici, à côté de moi, afin de discuter de manière plus agréable.

Oui, je me fiche totalement des tasses et autres objets du même genre pour la simple et bonne raison qu’il est facile d’en prendre dans les réserves, dans les stocks infinis du palais, où s’entassent les sets à moitié brisés. Nombreux sont ceux et celles qui utilisent leurs affaires sans le moindre soin, et nombreux sont les serviteurs qui font la même chose que moi, et prennent assiettes et autres couverts pour chez eux. Personne ne tient les comptes de ces choses là, ces choses qui sont cassées et dont personne ne veut. Il ne manquerait plus que ça. En fait, je trouve que ça a un certain charme, d’avoir plusieurs tasses différentes sur la table. C’est quelque chose de simple, d’unique même. Mon sourire sur mes lèvres, j’indique la provenance des tasses dont Niniel s’inquiète à la demoiselle, avant de secouer lentement la tête. Oh, décidément, elle me fera toujours rire, cette dame. Avec qui d’autre aurais-je pu ainsi avouer la provenance de ces tasses sans avoir un regard outré ? Personne. Non, c’est bel et bien pour ça que j’apprécie Niniel. Elle possède une certaine simplicité qui m’attire et qui me donne l’impression qu’elle pourrait être cette sœur que j’aurais parfois aimé avoir, avec qui j’aurais été proche en âge et avec qui j’aurais pu partager des rires et des blagues. Mais, je suis un adulte maintenant, et je suis incapable de revenir en arrière. Par ailleurs, mon petit frère est largement assez important dans ma vie pour remplacer ce désir d’avoir eu quelqu’un de proche en âge avec qui grandir et tout partager.

- Non, tout le monde s’en fiche de ces pauvres tasses orphelines. Mais, pas moi. Moi, je les aime bien, car elles ont leur histoire. Et puis, c’est triste non, de se dire qu’elles ont perdu leurs sœurs, et qu’à cause de ça, jamais elles ne vont être utilisées à nouveau… Je préfère les prendre et leur donner une nouvelle vie.

Et, voilà que Niniel se met à me taquiner simplement sur le fait que les assiettes sont ébréchées. Hey, ce n’est pas elle qui a tenté de les faire sortir du palais en douce, sans jamais les casser… alors, oui : certaines sont ébréchées. Certaines sont fendues. Certaines sont réellement dans un mauvais état. Mais, tant qu’on put manger dedans, c’est bon, non ? C’est tout ce qui compte. Et puis, si je devais en acheter, je devrais aussi le noter dans mes comptes, et il serait compliqué d’expliquer pourquoi il avait une seconde maison. Un sourire sur les lèvres, je secoue lentement la tête de droite à gauche avant de parler un peu de moi à la demoiselle. Et, de glisser en plein milieu que je sais tout de ce qu’elle vit. Je fais attention à elle, après tout. Si elle est mon invitée en ces lieux, elle est surtout ma protégée, et il est hors de question qu’elle se retrouve dans les ennuis jusqu’au cou.

- J’ai des personnes aptes à me remplacer au palais, si je dois m’absenter. Si je suis un des conseillers du roi, j’ai aussi mes propres conseillers, qui sont tout à fait dignes de confiance et qui peuvent prendre ma place lorsque besoin s’en fait. Et, croyez moi demoiselle, je me pardonnerais bien plus facilement d’avoir laissé à mes ennemis un point que de devoir pleurer sur votre cadavre.

Oh, qu’elle minimise les choses. J’ai envie de lui poser tout un tas de question, afin de tout savoir, afin d’être certain comme elle le dit, qu’il n’y a rien d’autre sous cette affaire qu’un simple homme cherchant un peu d’argent, et pas un de mes ennemis, ou un des siens, qui vient chercher victoire qu’elle lui a refusée… Oh, ils sont têtus, ils sont réellement têtus. Donc, il n’est pas possible de savoir si c’était une attaque isolée, ou alors la première marque d’une surveillance qui va s’installer sur Niniel ou sur moi. Je suis inquiet, je suis trop inquiet, peut-être même paranoïaque, mais le passé m’a appris à me montrer plus prudent que nécessaire, car c’est parfois indispensable. Dans un coin de mon esprit, je note d’envoyer des gardes en permanence pour surveiller la maison. Et, ceci sans prévenir mon invitée, qui serait très certainement incapable de comprendre pourquoi je fais tout ça.

- Vous êtes certaine que tout va bien ?

Le service complet ? Oh, il est complet. Juste qu’il y a des fleurs bleues sur une tasse, des roses sur celle d’à côté, et des papillons sur la troisième. Mais, il y a tous les éléments indispensables pour un service à thé. Et, c’est pareil pour les assiettes à dessert. Un sourire sur les lèvres, je me contente de hausser les épaules face à la remarque de la demoiselle, avant de lever les yeux au ciel. Il faut dire que, de toutes les petites choses que j’ai pu récupérer un jour ou l’autre à droite ou à gauche, l’amusement que j’ai eu à prendre ces tasses une par une, à les glisser dans ma poche quand personne ne regardait.. Oh, oui, ces tasses, je les aime bien.

Mais, l’heure n’est pas du tout à la blague et aux discussions sur les tasses de thé, non. Non, l’heure est désormais à l’inquiétude, comme je suis réellement attristé qu’elle se soit blessé, et qu’en plus de cela, lorsque je lui ai demandé il y a quelques minutes comment elle allait, elle m’ait menti sur ce point sans même sourcilier. Peut-être qu’à mon contact, Niniel a changé un peu trop… Peut-être qu’elle est devenue un peu trop … Sûre d’elle ? Capable de se débrouiller. Peut-être que c’est simplement cette force que j’ai décelée dans son caractère la première fois que je l’ai vue, qui s’est simplement développée. Je ne sais pas, et je ne le saurais jamais.

- Vous avez une langue acérée, mon amie, et j’ai fait en sorte de vous donner de quoi piquer de manière plus… physique. Mais, ce n’est pas une raison pour être trop sûre de vous.

Non, loin de là. La véritable force c’est de savoir jusqu’à quel point on peut piquer, jusqu’à quel point on est capable de s’en sortir seul. Mais, pour l’heure, Niniel est loin d’être prête. Certes, elle est bien plus capable de s’en sortir que l’an dernier, lorsqu’elle est arrivée par je ne sais quel miracle entière jusqu’à moi.

- Et vous m’en voyez ravis. Je sais que vous tenez toujours vos promesses.

Ensuite, voilà venu le temps de parler de la plaie en question. Je n’ai rien à ajouter là-dessus, pour la simple et bonne raison que la demoiselle a déjà contacté un guérisseur. Cependant, je me permets tout de même une petite intervention :

- Si vous êtes blessée à nouveau, venez au palais. Je vous ferais passer pour ma cousine, ou un membre éloigné de ma famille qui vient d’emménager par ici, et je vous introduirais auprès du meilleur guérisseur de la cité. D’ailleurs, si ça s’infecte, n’hésitez pas à venir me voir directement au palais.

Le visage contrit de la demoiselle m’interpelle cependant, et la question qu’elle me pose me fait froncer les sourcils. Je soupire un coup, avant de secouer lentement la tête de droite à gauche :

- J’ai des informations, contradictoires, encore une fois. Vérifier chaque piste prend du temps, car je ne peux pas allouer trop de mondes sur cette tâche, car mes hommes doivent aussi rechercher notre roi qui a disparu. Ils sont après tout voués à sa protection avant d’être utilisés pour quoi que ce soit d’autre. Mais, il y a des pistes, des pistes qui donnent dans plusieurs directions. Certaines retournent vers Dol Amroth, d’autres pointent ici, au Rohan. C’est celles que je privilégie, pour lier en même temps la recherche de mon roi à celle d’Alcarin.

Que la demoiselle en face de moi soit tout à fait capable de se remettre en question, et sache voir ses limites est une chose qui me soulage un peu. Mais, je ne suis pas tout à fait certain qu’il soit l’heure de parler de secondes quand elle serait face à un combattant expérimenté. Non, en fait j’irais peut être plus lui conseiller de partir en courant pour s’enfuir. Là, elle aurait une chance de s’en sortir. Je me contente donc de hocher la tête pour acquiescer à sa remarque, tout en me disant qu’un jour, il serait amusant, très certainement de me retrouver face à elle, pour voir ce qu’elle a fait comme progrès. Ce serait drôle, je pense. Très drôle. Un sourire sur les lèvres, je hausse les épaules, comme pour chasser l’idée. Niniel est blessée et de toute façon il n’est pas possible de tester cette idée aujourd’hui. Alors, je la repousse, comme ça, sans réellement faire attention à ce qu’il se passe autour de moi. Oh, un jour, nous ferons ça. Un jour nous nous affronterons. Mais, plus tard, pas pour l’instant.

Mais, alors que j’annonce à Niniel que je suis au courant de tout, et qu’elle m’explique ce qu’il s’est passé, et elle me promet à la suite de ne pas recommencer à me cacher des choses. Je hoche lentement la tête de haut en bas pour lui montrer que j’ai entendu cette promesse, et je me retrouve rapidement à changer de sujet, à parler de sa blessure. Parce que j’ai besoin de savoir comment elle va réellement, si la blessure n’est pas trop grave, si ça va se remettre facilement.

- Oui, je fais confiance à Nana pour vous surveiller de prêt. Elle est encore plus têtue que moi, et sur ce point elle sera intraitable.

Un message ? Vraiment ? Et si c’était urgent ? Elle n’allait tout de même pas attendre qu’un message me parvienne, si c’est urgent ? Si ?

- Si je vous fait passer pour ma cousine, il n’y aura aucun soucis pour que vous veniez au palais quand vous le voulez. Mais, il y aura d’autres adaptations à faire. Par exemple, il faudra que je vous parle de ma famille un peu plus en détails, au cas où on vous pose des questions.

Mais, voilà la demoiselle en face de moi qui me pose une question que je n’avais pas prévue. Certes, une grande partie des ressources de mes hommes passe sur la recherche de son ami Alcarin, mais il faut avouer aussi qu’avec la disparition du roi, la priorité passe à cette recherche, avant toute autre chose. Mais, j’ai toujours quelques hommes qui partent un peu plus loin que prévu pour chercher Alcarin. Et, c’est ce que je lui explique rapidement, un air embarrassé sur le visage, qui répond à la tristesse que je lis sur le visage de la demoiselle.


- Je suis désolé. Je fais tout ce que je peux.

La remarque suivante de la demoiselle me tire un sourire attristé, et je secoue lentement la tête de droite à gauche. Je soupire avant de répondre à la question de la jeune femme, après quelques secondes de réflexion.

- Je dois avouer que je ne sais pas. D’un certain côté, il faut toujours de l’espoir, car le monde ne peut s’en sortir sans espoir. De l’autre, au vu de la dangerosité des routes de ce monde… Et puis, s’il était encore en vie, ne serait-il pas déjà revenu vers vous ? Je ne sais pas. Je n’arrêterais pas les recherches tout de suite, à votre place. Pas avant d’avoir tiré les choses au clair avec… votre fiancé.

- Ne vous en faites pas, tout le monde en fait, des erreurs, sur sa famille, surtout dans la noblesse. Si vous êtes une cousine éloignée, il sera d’ailleurs normal que vous ne connaissiez peut-être pas tous les détails de ma partie de la famille, tout comme il sera normal que je ne connaisse que de noms les vôtres. Il faudra que nous prenions le temps de vous inventer une identité, une famille, qui ressemble peut être à celle que vous avez à Dol Amroth, sans conserver les mêmes noms, pour ne pas éveiller la suspicion des gens.

Un sourire sur les lèvres, je soupire un coup alors que je réalise que cette conversation risque d’être amusante, et qu’il nous faudra, à l’un comme à l’autre, prendre pas mal de notes pour éviter de nous y perdre. Mon regard se fait lointain quelques secondes, à l’idée que nous devons avoir cette conversation avant le mariage. Parce qu’au fond, j’ai envie qu’elle vienne. Voir une amie proche dans la foule de mes ennemis, ce sera un point positif, d’autant que je ne suis pas certain que mon père puisse se déplacer, même pour un mariage aussi important.

Mais, nous devons parler d’autre chose d’une chose plus importante : son ami disparu, et que j’ai promis d’essayer de retrouver. Je n’ai cependant rien à lui apporter. C’est peut être une cause perdue, mais je ne veux pas pour autant abandonner. Certes, mes ressources sont parties principalement sur une autre quête, mais je ne veux pas laisser tomber, car Niniel a besoin que quelqu’un y croie, comme elle semble capable de laisser tomber. Oh, cette pauvre petite Niniel ! J’ai appris depuis longtemps à la connaitre et à l’apprécier, comme une amie proche, comme une sœur. Et, je n’aime pas la voir triste.

- Ne vous laissez pas aller, mon amie.

Je tends la main pour prendre la sienne, une expression peinée sur le visage. Je serre cette main si blanche, si fine, entre les miennes avant de secouer lentement la tête de droite à gauche.

- S’il n’est pas revenu, c’est qu’il y a peut-être des circonstances qui font qu’il n’a pas les moyens de le faire : j’ai connu un homme, lorsque j’étais enfant, qui est revenu après dix ans. Il avait perdu la mémoire, suite à une chute de cheval, et elle n’est revenue qu’après dix longues années. Il avait reconstruit sa vie, il avait une nouvelle femme et un enfant. Et, il avait une première femme, et deux autres enfants, d’avant son amnésie. Ce genre de miracle arrive, et cela pourrait expliquer qu’il ne soit pas revenu et qu’il ait cessé de donner des nouvelles.

Je relâche les mains de la jeune femme, et j’essaie de conserver une expression réconfortante. Et, d’un autre côté, je n’ai pas d’autre chose à lui dire. Enfin, si. L’autre idée que j’ai, pour l’absence de nouvelles d’Alcarin, c’est qu’il se trouve incapable de le faire, enfermé dans une geôle ou quelque chose du genre. Et, dans une geôle… Il serait compliqué de le récupérer entier.

Après avoir mis rapidement au point avec Niniel ce que nous allions faire, elle et moi, pour créer une couverture qui tienne la route pour sa personne, j’en viens à me demander pourquoi est-ce que j’ai mis autant de temps à y penser. En fait, j’aurais certainement dû prévoir cette tactique plus tôt, afin de lui permettre d’avoir une existence réelle. Au lieu de ça, je me suis simplement retrouvé à la cacher, comme on cache quelqu’un dont on a honte. Mais, je n’ai pas honte de cette amitié que j’ai su créer avec cette demoiselle au cours de cette année, bien au contraire. Je peux désormais la compter parmi mes précieux amis, et je n’ai pas l’intention de laisser quiconque venir trouver quoi que ce soit à redire là-dedans. Par contre... Par contre je dois avouer que mes ennemis, eux, ils pourraient inventer pas mal de choses. Heureusement que je prends des chemins détournés, en changeant plusieurs fois d’identité dans des boutiques où travaillent mes hommes, sans quoi ce secret se serait éventé depuis bien longtemps, et la réputation de Niniel en aurait été entachée. La faire passer pour ma cousine résoudra beaucoup de choses. Il faudra que j’en parle à Père, pour qu’il soit au courant, évidemment. Père est dans toutes mes confidences, comme il est et reste le mentor que j’ai toujours eu et dont j’aurais besoin toute ma vie. Cette cause à laquelle je me dévoue, c’est l’héritage qu’il me laisse, bien avant de me laisser Dunharrow.


- Je sais bien qu’il est difficile de garder espoir quand tout semble vous dire le contraire. Mais, si vous, vous ne le faites pas, qui pourra le faire à votre place ?

Elle m’attriste, lorsqu’elle prend cet air peiné, et c’est une expression que je lui retrouve souvent, lorsqu’elle pense être seule. Oh, je n’irais pas lui jeter la pierre, loin de là. Après tout ce qu’elle a vécu, il est compliqué pour elle de s’en sortir en gardant la tête haute. Et puis, je dois avouer que le nombre de pistes contradictoires qui s’offrent à moi dans la poursuite de son ami me semble tout à fait inextricable. Mes hommes ont réussi à recréer son parcours de Dol Amroth jusqu’à Edoras, mais nul ne sait où il est parti ensuite. Si quelque chose s’est passé, c’est entre Edoras et sa destination suivante. Mais, tant que je n’aurais pas le nom de cette destination, je ne pourrais pas avancer réellement, et je n’ai pas envie de poser mille questions à la demoiselle que j’ai en face de moi pour savoir ce qu’elle pourrait bien avoir entendu d’autre. Elle m’a déjà dit et redit dans les moindres détails ce qu’il s’est passé, et je ne pense pas qu’il soit utile de l’accabler encore plus avec des questions.

- Ce n’est qu’une idée comme une autre. D’autres choses sont possibles. Mais…

Je m’interrompt, quelques secondes, afin de chercher mes mots, et puis j’observe la demoiselle en face de moi avec un air pensif.

- Ne pensez-vous pas que… Demander à Adrahil où il devait aller… pourrait nous aider ? Je sais que vous n’êtes pas encore prête à faire ce chemin là, mais… Peut-être que pour retrouver Alcarin, renouer avec votre fiancé est indispensable ? Il n’y a que lui qui puisse avoir en mains les éléments dont nous avons besoin pour avancer. C’est peut être… Comme une dernière chance à se donner ?

Je laisse passer quelques secondes, un peu confus, avant de reprendre :

- Comme toujours, je ne cherche pas à vous brusquer. Réfléchissez-y. Nous en reparlerons après le mariage, si vous le voulez.

Je réalise alors que je ne lui ai même pas dit qui j’allais épouser. La ville n’est pas encore au courant, la rumeur n’a pas pu arriver jusqu’à elle. Mais, ce n’est pas grave. Elle a autre chose en tête, et moi aussi. Nous devons penser à avancer, pas à pas. Avec délicatesse. Car, c’est ce dont elle a besoin. Et, sur un tout autre plan, moi aussi.

Oui, le temps passe, et chaque jour sans nouvelles d’Alcarin est une journée de plus qui est difficile pour Niniel, et ça je le sais parfaitement. Mais, je ne peux rien lui apporter pour le moment, et ce malgré tout ce que mon cœur espère pouvoir lui apporter. Non pas que je ressente des sentiments amoureux pour elle, mais disons qu’elle a trouvé sa place dans mon cœur au fil des semaines qui passaient, encore et encore de manière inéluctable. Chaque jour doit être une torture pour elle, et je n’ose imaginer ce que ce serait d’être dans sa situation. Un sourire sur les lèvres, je secoue la tête de droite à gauche et je retiens un soupir. Oui, ici je ne peux qu’essayer de comprendre, essayer d’être là pour celle qui va désormais être Histiel, ma cousine venue vivre à Edoras. Mais, chaque chose en son temps, après tout. Et, je sais qu’elle a besoin de temps pour accepter l’idée que je lui propose : celle de recontacter Adrahil, son fiancé, pour voir ce qu’il pourrait lui dire, pour voir ce qu’il pourrait nous donner comme informations. Mais, tout ceci semble faire beaucoup pour la jeune femme qui est tout à fait perturbée, et je ne peux que la comprendre. Même avec l’empathie dont je suis capable de faire preuve, je ne peux qu’imaginer ce qu’elle peut avoir en tête, et c’est bien pour ça que je lui dis et redis qu’elle doit prendre son temps, même si au fond… Au fond je sais que le temps presse un peu, car plus le temps passe, plus les pistes s’amenuisent et elles semblent petit à petit se disperser dans l’infini du néant.

Par contre, que la jeune femme se tourne vers moi avec cette surprise sur le visage me fait réaliser que non, tout à l’heure lorsque je suis arrivé et que j’ai glissé l’histoire du mariage dans la liste des choses qui allaient m’occuper ces prochains temps, elle n’avait pas réellement compris ce que je lui disais. Un air un peu amusé monte sur mon visage, en même temps qu’un autre air, un peu plus… mal à l’aise ? Oui, c’est ça le terme.

- Vous savez que le roi a disparu, et que l’intendant actuel n’est pas digne de confiance ?

Je lui ai déjà expliqué tout ça plusieurs fois, et je souris tristement, avant de continuer :

- Nous avons retrouvé une vieille loi qui autorise la première des nièces du roi qui se marie à prendre l’intendance en mains. C’est pour ça que j’ai demandé la main d’Eodia.

Niniel a depuis longtemps je pense, deviné les sentiments tendre que j’éprouve pour la princesse, et ce même si nous n’en avons jamais réellement parlé tous les deux. Pour l’heure, je préfère présenter tout ça comme étant un mariage politique plus qu’autre chose, même si la déclaration que j’ai faite à la princesse n’avait rien de politique du tout.

- Nous avons moins d’un mois pour tout préparer, pour éviter de nous faire doubler par d’autres personnes moins bien intentionnées que nous pour l’avenir du Rohan.

Rappeler les faits. C’est toujours quelque chose qui m’aide à y voir un peu plus clair, à réaliser un peu ce qu’il se passe dans ma tête, à poser les choses pour les organiser, les unes après les autres, et leur donner une certaine logique, une certaine cohérence. Alors, oui j’ai parfois tendance à reprendre les choses depuis le début et à les répéter. C’est un de mes plus grands défauts. Mais c’est aussi ce qui me permet d’agir de façon rapide et organisée quand il le faut. Car, si tout est clair dans ma tête, lorsqu’une surprise arrive face à moi, je peux dégainer ma lame pour agir dans l’instant. Si je me laisse surprendre à chaque fois… Je serais certainement mort depuis longtemps, vu la dangereuse vie que je vis par ici. Alors voilà. La logique de toute cette histoire, de l’enlèvement, des lois retrouvées, ça a été cette suite que j’y ai donné : la demande en mariage que j’ai faite à la princesse.

- Merci, mon amie. Je suis heureux qu’elle vous plaise autant qu’elle me plait.

Voilà que je m’avance un peu trop dans cette histoire. Mal à l’aise, moi ? Certainement. Si Niniel a fini par devenir, au fil du temps, une véritable amie et une confidente précieuse, je dois avouer que je ne suis pas tout à fait certain cependant d’être capable d’avouer à haute voix ce que je ressens réellement, car je possède cette sorte de pudeur qu’on m’a apprise depuis mon plus jeune âge quand à ce que je dois laisser voir aux autres. Si je suis l’héritier d’une jolie ville, le prochain seigneur des lieux, je dois faire en sorte de ne pas laisser mes émotions me guider pour ne pas qu’on puisse les utiliser contre moi. Alors, j’ai appris à ne pas les partager, à les considérer comme une part si intime de mon être que personne ne peut réellement entrer par là. Personne, sauf Niniel, visiblement, et Eodia dans l’avenir, alors que nous apprendrons à nous aimer réellement au fil des mois qui suivront le mariage. Si je suis déjà sûr de mes sentiments, je suis bien moins capable d’en dire autant sur ceux de celle qui est la future intendante du Rohan.

- Alors, il va nous falloir préparer notre petit mensonge assez rapidement, ma cousine, car je vais avoir besoin de votre expertise en la question. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il faut faire pour un mariage. Eodia doit avoir une belle robe, et moi un costume, mais… En dehors de ça je n’ai absolument aucune idée de ce qu’on doit faire, du temps que ça prend et… Un mois c’est extrêmement court. Si vous voulez venir au palais pour me représenter et donner un avis qui soit plus… avisé que le mien, vous me sauveriez la vie.

Je secoue la tête, totalement perdu avant de reprendre :

- Je serais capable de dire « oui » à tout ce qu’on me proposera, juste histoire d’avoir un avis…

De l’aide pour le mariage. C’est une chose extraordinaire. Je n’aurais réellement pas pu penser me retrouver avec quelqu’un qui saura s’occuper de moi. Mon regard n’est pas réellement perdu, pas tant que ça, mais en fait plein de reconnaissance vers la demoiselle qui se trouve à côté de moi, mon sourire ravi monte à mes lèvres. Un sourire sincère, ravi, reconnaissant aussi. Je n’ai pas réellement quoi que ce soit d’autre à faire. Mon regard est soulagé lorsqu’elle me dit qu’Eodia doit déjà avoir sa robe. Tant mieux. Est-ce que je suis réellement obligé de venir vêtu d’une tenue quelconque ? Est-ce que je peux venir comme je m’habille tous les jours ? J’ai tellement de questions étranges qui me viennent en tête. Mon regard se tourne vers Niniel alors qu’elle parle et je hausse les épaules :

- Alors, c’est avec un grand plaisir que j’accepte de me servir de vous comme de mon organisatrice personnelle. Vous vous occupez de tout, et moi je signe les papiers à la fin. Vu que je n’ai aucune idée de ce que je dois faire. Ça vous va ?

Conseil … conseil, autant dire qu’elle va décider plus que conseiller. Mon regard est totalement perdu, et je tourne le visage vers elle pour hocher la tête :

- Alors, nous allons commencer par mettre au point votre passé avec moi. Peut-être pas ce soir, cependant, cela fait beaucoup de choses à envisager. Que diriez-vous que nous dînions ensemble demain soir ? J’aurais ainsi le temps de vous apporter mon arbre généalogique, mais nous pourrons vous trouver une place. Je dois aussi avoir quelques ouvrages sur l’histoire de ma famille dans les rayons de la bibliothèque.

Pensif, je me relève pour me diriger vers les étagères et je laisse mon doigt glisser sur le dos des ouvrages. Finalement, je prends deux volumes pour me retourner vers Niniel et je dépose les deux livres sur la table.

-Vous pouvez lire ceci en diagonale, cela vous permettra de répondre à toutes les questions qu’on vous posera sur ma famille. N’allez pas pourtant apprendre tout cela par cœur, personne ne vous le demande.

Comme je vous l’ai dit, je n’y comprends rien. Quoi que vous me conseilliez, je le suivrais alors… Autant faire les choix directement. Du moment que mon costume n’est pas rose … Je pense que vous serez plus à même d’avoir l’oreille d’Eodia que la mienne. Entre femmes, vous vous en sortirez bien mieux que moi …

Pour l’heure, j’ai quelques petites choses à faire de mon côté, je me dois donc de partir et de m’éloigner. Je dois rentrer au palais pour préparer mon mensonge, annoncer la venue prochaine de ma cousine, mais aussi expliquer à Eodia pourquoi Niniel se trouvera dans ce rôle, comme les deux damoiselles se connaissent. Nombres choses sont à prévoir, et la demoiselle a beaucoup à apprendre, tout comme moi je vais avoir beaucoup à apprendre d’elle, car je souhaite que sa famille réelle soit proche de cette branche que nous créerons tous les deux.

- Parfait. N’hésitez pas à vous inspirer de votre véritable famille. Plus ce sera proche de ce que vous connaissez, mieux ce sera. Nous n’aurons qu’à nous inventer quelques souvenirs communs supplémentaires, en piochant dans nos expériences personnelles, et tout cela sera parfait.

Je lui donne ensuite deux gros livres, et sa remarque me tire un sourire amusé. Non, en effet. Nous allons devoir avoir beaucoup de conversations l’un avec l’autre pour faire en sorte de créer un mensonge crédible. Si on m’avait un jour dit que le mensonge serait aussi amusant…

- Exactement. Maintenant, personne ne peut connaitre toute sa famille par cœur. Je suppose que vous-même n’avez pas en tête l’âge précis et le nombre de vos cousins. Le savoir de manière approximative suffira. Vous n’aurez réellement à vous inquiéter que de la partie de ma famille qui règne sur Dunharrow, de la branche principale.

Je salue ensuite la demoiselle :

- Je vais vous laisser là. Je dois annoncer votre venue à Eodia, et lui expliquer pourquoi vous n’êtes pas réellement ma cousine… De plus, il y a un conseil ce soir, et je dois me changer. Je vous souhaite une bonne soirée.