You were supposed to wait for me, Valaina...

L’inquiétude. Vous savez ce que c’est ? C’est ce moment étrange, ce moment de flottement où les cauchemars deviennent réalité. C’est ce qui m’a étreint durant chaque jour depuis que le départ de Valaina a été porté à mes oreilles. En fait, nous devions voyager tous les deux, nous devions avancer sur le dangereux chemin qui mène d’Imladris jusqu’à Esgaroth. Car, qu’elle écume les routes de ce monde ne me dérange pas. Non, c’est Valaina, c’est ainsi qu’elle fonctionne. Mais, qu’elle parte toute seule, au travers des bois de Mirkwood qui sont emplis d’araignées… Non, vraiment c’est une super mauvaise idée. La pire des idées du siècle. Alors, lorsque deux jours plus tard, Elladan m’a annoncé avoir un message à apporter au roi de la forêt noire, alors… Alors j’ai sauté sur l’occasion, pour apprendre que ma sœur de cœur était déjà partie une fois sur place. Direction donc Esgaroth, avec mon frère devenu temporairement sourd, que je laisse à l’auberge pour qu’il se repose à peine arrivé. Moi ? Oh, moi je tourne en rond dans les rues de la ville sur pilotis, espérant tomber sur l’elfe que je recherche. Mais non. Chaque chevelure blonde attire mon regard inquiet, et à chaque seconde qui passe, j’ai du mal à empêcher mon cœur de s’arrêter de battre avec une vitesse extraordinaire, plongé dans l’inquiétude. Et si… Et si elle était en danger ? Encore quelque part en arrière, encore coincée dans la forêt parce qu’elle serait passée par un autre endroit que celui par lequel Elladan et moi sommes passés pour rejoindre la cité. Oh, je vois dans mon esprit torturé des images de ma propre mère, alors qu’elle s’est fait torturer par les orcs. C’est son visage que je vois lorsque j’imagine ce que Valaina a pu subir.

Mais, elle a très bien pu arriver ici entière, n’est-ce pas ? Elle a très bien pu arriver entière et simplement être… ailleurs. La cité n’est pas si petite. La cité n’est pas si petite, elle est même plutôt grande. Alors… Alors peut être qu’elle est quelque part où je n’ai pas cherché encore. Peut-être qu’elle n’est pas dans les rues. Valaina est une guérisseuse, et telle que je la connais, elle ne peut pas s’empêcher de finir dans les maisons pour apporter son aide à tous ceux qu’elle croise. Sur ce point, elle ressemble tellement à ma future belle-sœur que c’en est effrayant. Un sourire monte à mes lèvres alors que je repense à Elinà, et à la façon dont elle m’a montrée sa bague quelques heures avant que nous partions. Je n’ai jamais douté qu’un jour ces deux-là finiraient ensemble, et c’est avec grand plaisir que je vais l’accueillir dans la famille lorsque leur mariage sera prononcé. Et, même avant.

Quelques secondes durant, mon esprit oublie Valaina, et c’est à ce moment-là qu’elle apparait devant moi, me laissant immobile, comme figé face à elle alors qu’un soulagement emplit mon cœur. Je fais les trois pas qui me séparent de Valaina avant de l’attraper par les épaules pour la serrer dans mes bras. Je ferme les yeux quelques secondes avant de murmurer à son oreille :

- Ne me fais plus jamais peur comme ça…

Et puis, je me rends compte de l’incongru de la situation, et je relâche ma sœur de cœur avant de mettre mes mains dans mon dos, un air mi-figue mi-raisin sur le visage. Je baisse la tête vers le sol avant de relever les yeux et de pousser un soupir. Je pointe mon doigt vers elle, avant de l’accuser d’un air sévère :

- Tu devais m’attendre avant de partir.

Je me sens bizarre. Je me sens très bizarre là tout de suite maintenant, avec Valaina dans les bras, incapable de réaliser à quel point je suis stupide d’avoir traversé la moitié des terres du milieu juste pour la trouver. Oui, j’ai réellement eu du mal à la trouver. Et là, maintenant, je me trouve avec Valaina dans les bras. Oh ça c’est étrange, me connaissant. C’est vraiment étrange. Et, je me suis reculée, un pas après l’autre, pour essayer de me calmer, de calmer mon cœur pour ne pas qu’il explose dans ma poitrine. Mais qu’est ce qui m’arrive ? Je grogne un coup, mal à l’aise, alors que Valaina me dit qu’elle est contente de me voir. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais, c’est ce que j’ai voulu lui faire comprendre. J’ai eu peur, j’ai eu vraiment peu de ne plus jamais la revoir. Peur de ne plus jamais l’avoir en face de moi, et cette peur, même si je n’en ai rien montré à mon frère, elle a étreint chaque jour de mon voyage. J’ai fait en sorte de l’ignorer, de la ranger dans un petit coin de mon crâne et de ne pas presser trop mon frère pour arriver jusqu’ici.

- Ce n’est pas ce que j’ai dit.

Bras croisés, je l’observe un instant, et je finis par l’accuser d’être partie sans moi, sans même me prévenir. Oh, elle a certes ses raisons. Elle a toujours ses raisons. Moi aussi d’ailleurs. Mais, ce n’est pas dramatique Ce n’est pas dramatique non plus. Mais, elle aurait au moins pu me laisser un mot. Elle aurait au moins pu me faire passer une missive par l’un des gardes. Ce n’est pas comme si personne ne me connaissait à Imladris : je suis l’un des princes des lieux. Franchement… C’est méchant d’avoir fait ça, surtout alors que ces terres sont pleines de dangers.

- Oui, mais moi je ne pars jamais seul. Je pars avec mon frère ou avec une escorte pour écumer ces terres bien trop dangereuses. T’es partie toute seule, sans dire à personne où tu allais, sans même me laisser le moindre indice…

J’en fais un peu trop là non ? Oui, certainement. Mais, j’ai grandi avec Valaina, j’ai appris à veiller sur elle. C’est comme ma sœur, cette elfe. Alors, oui, je m’inquiète, et j’aime savoir où elle est. C’est bien normal non ? NON ?

- Tes patients, toujours tes patients… Et, laisser un mot ne t’es pas venu à l’idée ? C’était si urgent que ça que tu ne pouvais même pas laisser quelques lignes à ton meilleur ami ?

Je plonge mon regard de chien battu dans le sien, prêt à tout pour la faire culpabiliser. Oui, moi si je ne peux l’attendre, je lui laisse un mot, au moins. Quelque chose pour qu’elle sache que je vais bien mais qu’une urgence m’a appelé loin de ma promesse de partir avec elle. Et, je ne la laisse pas s’inquiéter comme ça toute seule dans son coin. Ma moue boudeuse sur les lèvres, je reste comme ça quelques secondes, avant de me racler la gorge et d’éloigner mon regard du sien en tournant la tête, comme mes pensées semblaient soudainement partir sur une voie que je n’ai pas prévue. Allons, c’est la fatigue du voyage. Oui, ce doit être ça. C’est la fatigue du voyage qui me donne l’impression que … Non, il vaut mieux ne pas en parler. C’est la fatigue du voyage.

Je boude. Je boude vraiment, autant contre moi, contre cette réaction tout à fait puérile que je peux avoir, tout à fait incompréhensible, que pour faire croire à la jolie elfe en face de moi qu’il n’est pas facile pour moi de vivre cette situation, cette inquiétude dans laquelle elle m’a plongé, sans le vouloir. Je suis parfaitement conscient qu’elle ne l’a pas fait exprès, qu’elle ne l’a pas fait volontairement, mais d’un autre côté, je ne suis pas tout à fait certain de ce qu’il se passe dans ma tête. Non, mon cœur me semble être plus problématique que ma tête pour le moment. Et, je suis réellement inquiet, après tout. Je suis réellement inquiet, comme mon esprit a pu passer d’un tour à l’autre, d’une idée à l’autre, d’un cauchemar au suivant. Car, c’est ainsi que j’ai pu voir les dernières semaines passer. Ainsi, sans autre idée dans ma tête, malgré les quelques moments où Elladan a réussi à me distraire avec sa surdité, tous mes jours ont été enfouis dans une sorte de fouillis cauchemardesque, voyant Valaina morte torturée, comme l’a été ma mère il y a si longtemps, mais tellement peu en même temps. Alors, je l’écoute. JE l’écoute me répéter qu’elle sait ce qu’elle fait, sans un mot, comme figé. Je l’écoute me dire qu’elle ne l’avait pas prémédité, de partir comme ça, sans rien dire. Qu’elle a déjà fait pire, qu’elle est déjà partie seule un nombre certain de fois. Oui, mais cette fois, les choses sont différentes. Cette fois, il y a cette chose dans mon esprit qui me dit que je ne supporterai pas de la perdre pour de bon, il y a cette envie de la prendre dans mes bras pour la serrer contre moi, pour être sûr qu’elle est bien là, en face de moi. Vivante et entière.

- Si tu me l’avais demandé, je serais venu dans ces grottes. Et, Elladan aussi. On t’aurai soutenue, et on ne seraient pas repartis sans ce bijou.

Je peux comprendre l’attachement qu’on peut avoir face à certains objets. À mon cou, une lanière, et au bout de cette lanière une bague que j’avais forgée pour Mère, la bague que je comptais lui offrir, au retour de son voyage, de ce dernier voyage où elle a été capturée par des orcs. Mais, jamais je n’ai eu l’occasion de lui parler de ce bijou. Si je le porte aujourd’hui, c’est à la fois en souvenir d’elle, de ce qu’il s’est passé, de cette souffrance qui m’habite encore, mais aussi pour avoir la force de me projeter vers l’avenir, vers un avenir où je pourrais peut être guérir de cette douleur qui m’habite encore.

- Mais, ce n’est pas parce qu’on a tous les deux fait des choses idiotes dans le passé, à flirter tellement avec le danger qu’on aurait très certainement jamais dû en réchapper qu’il faut continuer.

Je me répète. Je me répète et je n’arrive pas à oublier cette peur qui fait encore battre mon cœur trop vite. Pour une fois, et c’est une chose assez rare pour être signalé, c’est moi qui fait attention à ce que je fais, c’est moi qui demande à quelqu’un d’être prudent. Parce que je ne pourrais pas vivre sans elle. Attendez, qu’est-ce qu’il se passe dans ma tête là ? Toute cette histoire va trop loin : évidemment que je ne pourrais pas vivre sans elle, c’est ma sœur. Elle a toujours eu la même place qu’Arwen dans mon cœur, n’est ce pas ? N’EST-CE PAS ?

- Oh, ne prends pas cet air boudeur, Valaina. Pour une fois que c’est moi qui te fais la morale et pas le contraire !

Ma main traverse l’espace entre nous pour caresser sa joue et je laisse un doigt lui faire relever la tête, avec un sourire tendre sur le visage, tout en me demandant bien pourquoi j’agis comme ça. Allons, ça suffit. Il est réellement impossible qu’une simple peur comme ça ait pu me faire changer à ce point. Je suis loin d’être un poltron, et j’ai Valaina devant moi, vivante, en bonne santé, et un peu trop penaude à mon gout. Je ne voulais pas non plus la faire culpabiliser à ce point.

- Maintenant, je sais que la prochaine fois tu me laisseras un mot… Car, nous savons l’un comme l’autre que tu ne m’attendras pas non plus la prochaine fois, n’est ce pas ?

Je retire avec douceur ma main avant de la passer dans mes cheveux pour les ébourriffer, un sourire amusé sur les lèvres.

- Bon. Tu veux aller quelque part ? Il fait bien plus froid qu’à Imladris, en cette saison, ici.

Changer de sujet. Essayer de retrouver une contenance. Ne pas penser à ce qu’Elladan n’a de cesse de me répéter sur Valaina et moi depuis des siècles. La même chose que je lui répétais pour Elinà et lui …

Au fond. Au fond, je sais que Père aurait refusé cette idée d’Elladan et moi en train de poursuivre les gobelins avec Valaina. Parce qu’il est compliqué pour un prince de faire ce genre de choses. Mais, non. En fait, simplement non. Je n’aurais pas écouté. Je ne l’ai jamais écouté, et c’est tout simplement pire depuis que je me retrouve face à ce souvenir poignant qu’a été l’attaque de ma mère. Alors, oui, je serais parti avec Valaina, à l’époque, et ce sans hésiter. Sans hésiter une seule seconde, même. Sans un regard en arrière, parce que Valaina a toujours été cette sœur dans mon cœur, cette elfe que j’ai toujours soutenue, au même titre que ma sœur de sang, en fait.

- Il y en a d’autres avec qui sa technique de confinement n’a pas réellement fonctionné, tu sais.

J’essaie de garder pour moi cette espèce de sentiment étrange qui m’étreint alors qu’elle parle du passé, de ce bijou. Si je m’écoutais, je lui donnerais tout simplement un autre bijou, un collier que j’aurais forgé moi, pour elle, juste pour qu’elle arrête d’y penser. Pour qu’elle trouve quelque chose d’autre sur lequel concentrer ses pensées que ce bijou perdu. Mais, je ne dois pas dire quoi que ce soit, non. Je ne dois pas. Non, ce serait stupide de lui proposer ça. Ce serait en fait un moyen très idiot d’essayer de lui offrir un nouvel objet pour remplacer celui qui est perdu. Comme un moyen de tenter, de manière très maladroite, de réparer les choses et de la faire avancer.

- Et, oui c’est moi qui dit ça. Et je le dirais autant de fois qu’il le faudra, ma chère blondinette.

Bras croisés, l’air boudeur, j’essaie de garder une contenance. Parce que je n’ai pas envie de la voir se mettre en danger pour le fun. Ah, ce fameux Nolas dont elle pense peut être être amoureuse, il a intérêt à avoir les tripes accrochées, parce que sinon, il va devoir tourner autour du monde, encore et encore pour retrouver sa femme. D’un certain côté, je plains celui ou celle qui ira gagner totalement le cœur de Valaina, et qui lui donnera le sien. Enfin, ce n’est pas dramatique non plus. Ce ne sera pas moi, après tout. N’est ce pas ? Bon, est ce que quelqu’un peut m’expliquer cette once de jalousie qui m’envahit là ? Ce n’est pas possible cette histoire, mon cerveau et mon cœur sont en désaccords parfaits.

- Heureusement que tu n’as pas une seule égratignure, sinon j’aurais été lui en raconter, à celui qui t’aurait fait du mal.

Bougon, moi ? Oui, un peu. Beaucoup même.

- Les chemins sécurisés ? Vraiment ? Est-ce qu’il existe encore des chemins sécurisés en ce monde ? Entre les orcs, les araignées, les humains qui attendent le retour d’un roi mort et enterré venu du passé, j’en passe et des meilleures, comment peux-tu dire qu’il existe encore des chemins sécurisés, hein ?

Bon, j’exagère, pour le coup. Un peu.

- Et bien, justement. Tu devrais faire en sorte que je n’ai pas à te faire la morale, Valaina. Parce que tu es la première à la faire aux autres.

Alors, non, dans ma conception des choses, mademoiselle Valaina ne me bat pas, loin de là. Mais, il faut parler d’autre chose.

- Alors, ça me va. On a un marché.

Pour le conclure, je tends la main à Valaina pour la lui serrer. Voilà, encore une journée étrange où j’ai trop de contacts physique avec trop de monde. Bon, Valaina a toujours eu le droit à plus de contact que le reste du monde. Comme Elladan ou Arwen, par exemple. Un sourire sur les lèvres, je soupire un coup.

- Si il fait froid. Il fait super froid, et je n’ai pas pensé à prendre de cape d’hiver. Je n’ai pas pensé non plus à prendre une tunique chaude. J’ai froid. Vraiment froid. Je veux une couverture, deux couvertures, même. Et un feu tout chaud.

Après quelques secondes, je suis Valaina vers son petit coin, mon bras passé sur ses épaules pour avancer dans les rues de la cité sur pilotis.

- Quel coin ?

Boudeur que je suis ce soir, alors que j’observe la demoiselle en face de moi, avec le cœur qui bat si vite que j’ai réellement l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. Oh, que j’ai envie de faire demi-tour, le temps au moins de comprendre ce qu’il se passe dans ma tête. Mais non, il est impossible pour moi de partir. Valaina serait capable de repartir à l’autre bout es terres du milieu.

- Justement. Si tu veux me sermonner, tu dois être absolument irréprochable. Et, là tu ne l’es pa. Tu n’as donc plus le droit de me sermonner. Et puis c’est tout.

Boudeur, certes. Mais, logique avant tout. Car, je n’ai pas l’intention de me retrouver pris au piège par les histoires de moralité et autres sermons à la Valaina. Combien de fois m’est-elle rentrée dedans pour me rappeler, à quel point les limites que je franchis chaque jour sont impossibles à franchir pour tant d’autres personnes… Et, à quel point je ferais bien de me ranger. Mais, je ne me range jamais.

- Tu es douée avec les mots, petite sœur. Et, avec des armes. Mais, je serais capable d’aller jusqu’en enfer pour chercher celui qui t’aura fait du mal, et pour l’y renvoyer moi-même s’il le faut.

Buté ? Ouais, totalement. Et, je l’annonce à haute voix. Valaina, elle ne s’en tirera pas comme ça. Jamais je ne laisserais personne me prendre ça. Un air féroce passe sur mon visage, mais la remarque de Valaina me fige sur place et je lève un doigt avant de le baisser. J’ouvre la bouche, et puis je la referme et je hausse les épaules. Qu’est ce qui a changé ? Je n’en sais rien. Je n’en sais rien du tout, et je ne sais pas vraiment comment expliquer ce que je ressens désormais quand je suis face à ma blondinette.

Attendez. Qu’est-ce que je viens de dire là ? Ma blondinette ? Non. Stop, il faut arrêter de penser à tout ça. C’est Valaina c’est ma sœur. Je ne peux pas… Je ne peux pas aimer ma sœur quand même. Enfin, si je peux mais… pas de cette manière-là. Je veux dire. Je peux l’aimer de façon fraternelle. Mais, pas d’amour. Parce que ça ne se fait pas. On ne peut pas aimer sa sœur comme ça. C’est pas… C’est pas logique. Du tout.

- C’est ce qu’il se passe sur les routes, qui a changé. J’ai vu trop de gens se faire attaquer par des orcs, des gobelins et autres créatures démoniaques, et ne pas en réchapper, ou être blessés de manière irrémédiable, pour pouvoir accepter que ça t’arrive à toi.

Et, me voilà bourru maintenant. Totalement incapable d’accepter toutes ces choses qui vivent dans ma tête. Mais, elles ne sont que des idioties. Des fadaises. Je ne peux pas… Je ne peux pas Choisir Valaina quand même. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas cohérent. Valaina est ma sœur. Ma sœur. Tu m’entends, cerveau ? MA SŒUR.

- Et je suis pas une fillette.

Mais, encore une fois, la conversation change, et je râle à propos du froid. Oui, je n’aime pas le froid, et je n’aime pas non plus qu’on me rappelle que je suis partis d’une cité elfique où le temps n’est pas tout à fait contrôlé de manière normale pour venir me perdre dans les montagnes. Et, pour qui je l’ai fait, hein ? Pour Valaina, évidemment.

- Je suis parti trop vite. J’ai pas pensé à prendre des bagages. Et puis, Elladan avait un message urgent à apporter à Mirkwood.

Comment ça je ne fais pas un bon aventurier ? Comment ça … Je … Hey, elle m’ennuie, là. Elle m’ennuie et je n’ai pas envie de me retrouver ennuyé. Je n’ai pas envie de me disputer avec elle. Je n’ai pas envie. Et, voilà Valaina qui m’ennuie avec ses petites piques. Je fais une moue et je la laisse me guider vers son chez elle. J’observe la bâtisse, qui ne paye pas de mine, et je la suis à l’intérieur, laissant mon regard glisser sur l’endroit, avant de faire quelques pas et de tendre la main vers une commode pour attraper une petite figurine en terre cuite.

- C’est moi qui ai fait ça, quand on n’avait même pas deux siècles, n’est ce pas ? Je la pensais cassée depuis longtemps.

Laissons passer la chamaillerie qui nous oppose, car l’heure n’est pas à ça. Oui, laissons donc tout ça à sa place. Je suis têtu, elle aussi, et nous allons bien finir par retomber sur le sujet. Nous retombons toujours sur le sujet, après tout. Rares sont les journées où nous ne nous prenons pas le bec l’un avec l’autre, sur un sujet ou bien un autre. Mais, s’il y a une chose que je n’accepte pas, c’est qu’on me parle de ma frilosité. Est-ce ma faute si je passe ma vie dans le sud, au Rohan, où le froid n’est que très rarement présent ? À Imladris où Père fait régner un microclimat chaud et sec, où la pluie est rare. Du moins rare quand j’y suis. Peut-être qu’il sait que je déteste ça ? Je n’en sais rien. Je m’en fiche, au fond. Mais, si c’est Père, je suis bien heureux qu’il fasse ça pour son fils préféré.

- Si tu n’étais pas partie aussi vite, j’aurais peut être pris le temps de prévoir des bagages. Là, j’ai juste pris mon frère et mon cheval et je suis parti.

Bras croisés, je laisse Valaina me guider dans les ruelles de la cité pour me retrouver devant une étrange bâtisse. Je rentre dedans, et je trouve quelque chose, un objet que j’avais fabriqué il y a si longtemps que j’ai oublié quand est ce que je l’avais faite.

- Peut être… C’est si ancien. C’est un souvenir qui semble s’être effrité avec le temps, mais qui s’est réveillé avec la vision de cet objet…

Un sourire sur les lèvres, je hausse les épaules et je repose l’objet pour regarder autour de moi, alors que Valaina me dit que je suis un casse tout. Je soupire et je lève les yeux au ciel avant de mettre mes mains sur les hanches :

- Est-ce que je dois te rappeler combien tu étais bordélique en cette époque ? Que tu laissais tout dans notre chambre, à Elladan et moi ? Et, que, nous n’étions que des gamins turbulents à l’époque. Alors, tu étais autant fautive que nous. On ne cassait que ce qui trainait dans notre chambre quand on se battait.

La phrase suivante de l’elfe blonde me fait tourner la tête de mon exploration, et je souris avant de hocher la tête.

- C’est une manière de te lier avec eux.

Un sourire et j m’avance un peu dans la pièce, finissant par m’approcher de la cheminée pour raviver le feu. Oui, bon, stop. On a dit qu’on ne parlait pas de mon côté frileux. Sujet tabou ! Interdit !

Un sourire sur les lèvres, je pose l’objet et je hausse les épaules à ce que me dit Valaina : oui, il est intéressant de voir qu’elle a gardé tout un tas de petites choses que j’ai pu lui fabriquer, ou qu’elle a pu récupérer au long des siècles.

- Mais non tu n’es pas sentimentale. Parfois, j’aimerai avoir gardé certaines choses, moi aussi.

Ma main se pose un instant sur ma chemise noire et je sens mes doigts se crisper au travers du tissu sur la chaine que je porte là, chaine sur laquelle se trouve une des bagues de ma mère, celle que j’ai gardée pour avoir un contact permanent avec elle, après que Nolas ait volé le collier qui ne quittait jamais ma bourse. Oh, ce n’était pas un collier énorme, plein de pierreries, mais il avait cette valeur sentimentale qui, malgré sa simplicité, le rendait inestimable à mes yeux. En cet instant, j’aurais aimé garder ma mère auprès de moi, trouver les mots pour la convaincre de rester. Mais, non ce n’était pas le cas. Les choses sont terminées.

- Pourtant, certains souvenirs sont plus importants à mes yeux que les objets matériels. Parce qu’ils restent avec nous à chaque instant.

Le sourire de Celebrian flotte dans mon esprit et je soupire un coup avant de m’éloigner dans la pièce et je me retourne vers Valaina quand elle me dit que j’ai l’esprit de contradiction. Oui, depuis qu’elle est partie et depuis que j’ai l’impression que le monde tourne en carré. J’ouvre la bouche pour répondre, avant de grogner un coup et de me tourner vers la jeune femme, un doigt levé.

- Si t’étais pas partie, je serais de meilleure humeur. Mais, non. T’es partie, et maintenant il me faut du temps pour me calmer.

Je lui tourne le dos, avant d’avoir un rictus amusé quand elle dit qu’elle va me mettre dehors. Oh, j’aimerai bien voir ça. Si elle me jette dehors par la porte, je rentrerais par la fenêtre. Et, si elle condamne la fenêtre, j’entrerais par la cheminée. Ou par la porte de derrière. Quoi qu’il arrive, je ferais en sorte de rester là. Parce que, c’est là que j’ai envie d’être.

A l’instant où cette pensée vole dans mon esprit, je lève les yeux au ciel. Mais, qu’est-ce qu’il m’arrive hein ? Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Pourquoi est-ce que je me retrouve encore et encore incapable de penser à autre chose qu’à ce que j’aurais ressenti si… Oh, ça aurait été pire que pour Mère. Ça aurait été pire que pour Mère. Je n’aurais jamais pu m’en remettre, je crois. Comme si mon cœur trop fragile était sur le point de sombrer. J’ai l’impression d’être sur une corde tendue au dessus d’un des volcans du Mordor. Alors, pour m’occuper, pour cacher mon trouble, je me penche pour allumer un feu et je soupire un coup, une fois seul, passant une main sur mon visage, presque soulagé pour le coup d’être seul. Mais qu’est-ce qui m’arrive ? La voix de Valaina dans mon dos me fait relever la tête et je termine rapidement de mettre une buche dans les flammes naissantes. Je me redresse et je prends la tasse pour en sentir l’odeur.

- Merci.

J’aime cette odeur de plantes, et je soupire un coup avant de tourner la tête vers Valaina qui me pose une question sur mon frère. Au fond, je suis soulagé de changer de sujet, et c’est avec un sourire que je lui réponds :

- Nous nous sommes réconciliés quelques jours après, lorsqu’il est revenu. On a parlé et on a laissé de côté notre différent. Il va épouser Elinà, tu sais ? Ces deux là ont ENFIN ouvert les yeux. Quelque part, ça me soulage de savoir qu’elle sera à ses côtés jusqu’à la fin des temps. Elle a toujours eu le don de savoir le prendre, savoir quand lui rentrer dedans, quand lui faire voir qu’il faisait des idioties, et surtout quand elle devait être simplement là pour qu’il se calme et qu’il s’apaise.

Je fais tourner ma boisson entre les mains et je soupire un coup avant de finalement boire une gorgée, et puis une autre, tout en parlant avec Valaina de la pluie et du beau temps, si on peut dire. Parce qu’au fond, j’ai juste décidé d’arrêter d’être pénible, comme elle le dit si bien. Elle le dit souvent, que je suis insupportable, avec tous les synonymes possibles et imaginables. Et là, pour le coup, elle a raison. Je m’exaspère tout seul, parce que je n’arrive pas réellement à faire quoi que ce soit qui tienne la route en ce moment. Ma tête part dans tous les sens, et mon esprit part dans tous les sens, alors que mon estomac reste encore tout à fait noué face à cette fichue impression que j’ai. Vraiment, je ne me reconnais pas aujourd’hui. Déjà, moi qui ait réellement du mal à toucher les gens depuis ma plus tendre enfance, je me retrouve à la serrer dans les bras, et je finis par l’embêter encore et encore de toutes les manières possibles et imaginables. Pourquoi est-ce que je fais ça, hein ? Pourquoi ? C’est stupide. Est-ce que c’est le choix de mon frère qui me fait soudainement l’impression que tout est en train de changer, en pire ? Je n’en sais rien… J’aimerais bien qu’il se passe quelque chose qui me fasse comprendre tout ce qu’il se passe là, dans ma tête. Mais, il ne se passe rien. Jamais rien. J’ai beau appeler les explications de tout mon cœur, je ne peux que regarder les choses agir et bouger autour de moi.

Oui, c’est super pour eux deux. Elinà attend ça depuis tellement longtemps… Tu sais qu’elle se sert de moi comme d’un doudou en temps d’orage, juste parce que je ressemble à mon frère ? Elle est adorable mais… De temps à autre, je me dis que j’aimerais bien qu’Elladan ouvre les yeux. Enfin, maintenant que c’est fait, elle ne débarquera plus en pleurs dans ma chambre parce que l’orage lui rappelle le jour où les orcs ont attaqué sa famille.

Ce n’est pas que je n’apprécie pas ma future belle-sœur, bien au contraire. Elinà, c’est comme ma sœur, et bien que je l’ai autant embêtée que Valaina alors que nous grandissions, j’ai été le premier à voir à quel point elle avait des étoiles dans les yeux en regardant mon frère. Même lorsque nous étions habillés de la même façon, elle n’a jamais eu ce regard pour moi. C’est moi qui l’ai forcée à m’en parler il y a près d’un millénaire, et j’ai tenté d’ouvrir les yeux de mon frère depuis en multipliant les compliments sur la belle elfe, en espérant le faire ouvrir les yeux. Alors, oui, aujourd’hui c’est un soulagement de les voir enfin s’unir l’un à l’autre.

Et je ne suis pas pénible.

Je croise les bras, un air vexé sur le visage, avant de reprendre :

Je suis marié à Aranruth, tu le sais très bien. Personne ne peut remplacer mon épée, et je crois que j’ai suffisamment vanté mes défauts sur les Terres du Milieu pour qu’aucune elfe ne veuille jamais de moi. Alors, je ne vois pas pourquoi tu me pensais marié avant Elladan.

Même si, d’un certain côté, je suis le plus mature des deux, je suis aussi le plus sombre, au fond. Celui qui a le plus souffert et qui s’est refermé comme une huitre, même si jamais je ne tenterai de nier la souffrance qu’Elladana pu ressentir en voyant notre mère partir pour Valinor après l’attaque des orcs.

Elladan est quelque part à Lacville, si tu veux.

Quand au mariage, il aura lieu en Lorien, chez Galadriel, c’est la première chose qu’on m’a dite.

Oui, je ne servirais plus de nounours à Elinà. Du moins, c’était une chose qu’il fallait espérer, pour mon frère en tout cas. Parce que sinon, ce serait relativement compliqué de continuer à regarder mon frère dans les yeux. Sa petite femme d’amour qui vient se servir de moi comme d’un doudou parce qu’elle a peur la nuit… D’un autre côté, il fallait avouer que c’était ma faute, au départ. C’était moi qui, un soir d’orage, alors que nous lisions dans la bibliothèque avait remarqué la pâleur de l’elfe et avait fini par la prendre dans mes bras. Ensuite, j’avais eu cette phrase que j’ai parfois regrettée, il faut l’avouer : « si tu as peur, viens me voir. Je te serrerais fort et t’auras qu’à penser que je suis Elladan et ça ira mieux. » Ouais, je l’ai regrettée, cette petite phrase, et je la regrette encore aujourd’hui. Mais, Elinà… Bah, au fond, j’ai toujours su qu’à force de patience elle saurait avoir Elladan et entrerait dans la famille alors… Alors même si je râle lorsqu’elle rapplique, je dois avouer que je fais contre mauvaise fortune bon cœur et où je la laisse venir se servir de moi comme d’un doudou. Et puis, que sont quelques heures de sommeil en moins ? Rien, quand on a l’habitude, comme moi, de se priver de sommeil.

- Je te dirais bien que tu seras la bienvenue mais je risque de m’en mordre les doigts. Déjà que tu arrives toujours comme un ouragan en pleine journée pour modifier mes plans, si en plus je t’autorise à venir la nuit, on court au désastre, vraiment.

Je la taquine ? Un peu. Beaucoup même. Si Valaina a besoin de venir me voir en pleine nuit, je la laisserais rentrer sans aucun souci, même si je râlerais tout ce que je peux râler durant les cinq premières minutes. Et puis, le sujet change : nous parlons de mon état d’aujourd’hui, de cette chose que je ne m’explique pas. C’est rare de se retrouver aussi perdu que ce que je ressens aujourd’hui, et pourtant tout à fait capable de savoir où on veut aller. Je me retrouve incapable de penser de manière cohérente et… Déjà que c’est dur en temps normal de réussir à rester cohérent pour moi … Alors, là c’est un véritable calvaire.

- Une quoi ? Une … Ha non. Non non non non non non non.

Me reproduire ? Moi ? Vraiment ? Mes yeux manquent de sortir de mes orbites et je soupire un coup avant de poser la main sur mon cœur. Une descendance ? ha ça non, je laisse ça à Elladan.

- Ha ça, c’est sûr. T’imagine un peu le bordel s’ils sont aussi inventifs que moi niveau conneries ? C’est pas des concours de tir à l’arc dans la salle du conseil vide qu’ils feront, c’est dans le jardin avec des pommes sur la tête..

Quelqu’un qui m’attend quelque part ? Autant dire que je fais la moue. Pendant un temps, j’ai cru qu’une petite elfe blonde m’avait volé mon cœur. Pendant un autre temps, que c’était un ami de longue date – oui, un mâle… - et maintenant, voilà que mon cœur s’emballe lorsque Valaina s’approche de moi un peu trop. Je baisse les yeux vers ma tasse qui refroidis entre mes doigts et je soupire un coup, perdu dans quelques pensées étranges, jusqu’au moment où Valaina me dit que, malgré mes défauts elle est encore là, elle.

- Et si tu m’épousais, toi, alors ?

Vu sa tête, je me retiens d’exploser de rire, et je lui offre un sourire jusqu’au oreilles avant de hausser les épaules.

- Entre pénibles, on se complèterais bien, non ?

Après trois secondes à rester sérieux, j’explose de rire et finalement, je lève la main :

- Je rigole. Ne me mets pas dehors. C’était une blague. Une immense blague.

Et puis, après quelques minutes de discussion je lui annonce qu’Elladan est par ici. Sa réaction me fait sourire et je repose ma tasse – désormais vide – sur la table pour me tourner vers elle :

- Non. Elladan avait un message à apporter à Thranduil. Une fois cela fait, nous avons appris qu’il y avait du grabuge par ici, et … Si Smaug dors sur son tas d’or, les nains vont l’en faire sortir. J’ai toujours voulu faire du surf sur le dos d’un dragon…

- Bah, allez, vas-y. Ma porte t’est ouverte. Tu veux le double de la clef peut être ? Je te mettrais un nœud rose autour. Comme ça, tu pourras venir à toute heure du jour et de la nuit, sauter sur le lit pour me réveiller, et subir mes lancers de coussin dans la figure. Je suis devenu expert là-dedans.

Un sourire sur les lèvres, je hausse les épaules, résigné. Oui, c’est bien ça le mot : je suis résigné à voir Valaina venir me faire des petites surprises durant la nuit, pour une raison ou pour une autre, même si comme elle le dit : je préfère largement les nuits tranquille. C’est une des raisons qui font que je sais que je serais un mauvais père, quelque part. Parce que, me lever à pas d’heures pour venir m’occuper d’un enfant qui pleure… Cela me donne d’avance des boutons. Enfin, je dis ça, mais d’un autre côté je suis bien certain que d’autres elfes pensaient la même chose avant moi et qu’ils ont tout de même eu des enfants. Je ferais des erreurs, c’est certain. Tout le monde fait des erreurs, mais j’espère de tout mon cœur que je n’aurais pas à faire ce genre d’erreur qui conduira mes enfants à me détester. C’est pour ça qu’il me faut une femme qui ait un certain aplomb et qui puisse me remettre à ma place lorsque je dérape.

Voilà justement que je me mets à penser à mon futur et à mes enfants potentiels. Je suis incapable d’accepter cette idée, tout comme je suis incapable de me dire qu’au fond, je suis totalement stupide de penser à ces choses-là. Et, la remarque de Valaina me fait sourire. Tout ce que je pourrais lui apprendre ?

- Oh, pour ça, j’ai déjà Aragorn tu sais…Je lui apprends tout ce qu’il y a à savoir sur le monde et sur la façon dont il peut faire tourner les gens en bourrique.

Je me passe la main dans les cheveux, mal à l’aise par le tour que prend cette conversation. Mon regard reste sur le thé entre mes mains, et je finis par poser la tasse. Oui, un enfant pourrait être sympathique. Un enfant qui soit de moi. Qui ne soit pas un des humains que j’ai sous ma protection. Il est hors de question que je continue à penser à ces choses là, pourtant. Parce que… L’unique visage que je vois pour mère.. Oh, mieux vaut arrêter de penser à tout ça. Je vais redevenir pénible, comme le dit si bien Valaina.

- Mais, ça pourrait s’envisager, un jour. Un jour lointain.

Est-ce que c’est pour ça que je demande, sur un coup de tête, à Valaina de m’épouser ? Peut-être. Certainement. Parce que je me rattrape aux branches comme je peux, j’essaie de sortir de cet état de gaz dans lequel je suis depuis quelques temps. Est-ce qu’elle m’avait drogué avec sa tisane ? quelque part, j’espérais que oui, car ça expliquerait cette étrange sensation que je ressens en ce moment. Alors… alors pourquoi est-ce que je me sens aussi soulagé lorsqu’elle ne répond pas non ? Qu’elle me dit qu’il va falloir que j’y mette les formes ? Je porte ma main de manière tout ce qu’il y a de plus machinale vers la lanière de cuir qui se trouve sous ma chemise, lanière au bout de laquelle se trouve une des bagues de ma mère. Est-ce qu’elle veut que je recommence correctement ? Non, peut-être pas. Mon rire envahit l’espace alors que j’avoue que c’était une blague. Un rire nerveux. Un rire tendu. Mais cela, Valaina ne le verra peut-être pas, si ?

- Alors, si je suis trop sérieux, je vais devoir me dérider un peu.

Par la suite, je lève les yeux au ciel lorsque Valaina prend la mouche. Je la laisse parler, aller jusqu’au bout de son histoire, jusqu’à finalement soupirer un coup et me laisser aller en arrière sur le canapé. J’observe la demoiselle elfe à mes côtés, un air profondément… quoi ? Exaspéré ? sur les traits, et je soupire un coup :

- Tu vois, on n’est même pas mariés, et tu commences déjà à me faire des scènes de ménage. Je t’ai dis que j’étais venu pour toi. Si tu avais été à Minas Thirit, je serais là bas en ce moment au lieu d’être ici et tant pis pour le dragon. Mais, puisque te retrouver m’a conduit à Esgaroth et au dragon… Ne crois pas que tu m’empêcheras de voir s’il est réel ou pas. Et, si en plus je peux monter sur son dos, tu serais bien mal avisée d’essayer de m’en empêcher, ma chère.

Je lève ensuite un doigt, les yeux fermés, un air parfaitement neutre sur le visage :

- Par ailleurs, je jure solennellement de ne rien manger qui vienne de toi jusqu’à ce que ce soit fait. Quand à te voir m’attacher… Je crois que je pourrais aimer ça…

Dragueur, je rouvre les yeux pour faire un clin d’œil à Valaina, avant de passer un bras autour des épaules de Valaina pour poser un baiser sur sa tempe :

- Ne fait pas cette tête, Val’. Tu sais que j’ai toujours voulu voir un dragon…

- Parce que j’ai changé la serrure la semaine dernière, à cause justement d’un orage et de ma cambrioleuse préférée. J’aurais jamais du lui apprendre à crocheter les serrures, sérieux. C’était la pire des idées…

Un sourire monte à mes lèvres alors que je décide tout à fait de donner un double à valaina. Elle n’en abusera pas. Par contre, je fronce un peu les sourcils quand elle dit qu’elle se servira de moi comme d’une bouillotte… Mouais, je n’aime pas trop ça. Pas du tout même. Je pousse un soupir avant de secouer la tête. Parce que, je n’aime pas réellement me retrouver ainsi, dans cette étrange situation où je suis sur le point de basculer vers quelque chose que je ne contrôle pas.

- Maintenant qu’Elinà est fiancée à mon frère, elle ne viendra plus m’embêter, sauf si Elladan est hors de la cité… Et encore, je suis bien capable dans ces cas-là d’aller me cacher dans la chambre de mon frère pour ne pas la voir… C’est le seul endroit où elle ne me cherchera pas. A moins que je ne vienne dans ton lit, ma chère Valaina. Si tu t’invites dans le mien, pourquoi ne pourrais-je pas m’inviter dans le tien, après tout.

Quant à la conversation sur les enfants… Je me contente de hausser les épaules. Je ne veux pas d’enfants. Déjà, avant même de penser aux enfants, il faudrait que je trouve une femme, et ça, ce n’est pas gagné. Comme je l’ai dit à Valaina il y a quelques minutes, je n’ai pas la maturité nécessaire pour être père, et puis… J’ai tellement fait montre de mes défauts sur les Terres du Milieu que la seule à sembler vouloir de moi c’est ma meilleure amie… Et encore. Je lève les yeux au ciel à cette idée avant de me retourner vers mon amie :

- Si tu le dis… De toute façon, ce n’est pas encore le moment d’y penser. Il faut déjà qu’une femme tombe amoureuse de moi et vice versa… Ce n’est pas gagné, tout ça…

Un peu négatif, moi ? Ouais totalement. On pourrait même dire pessimiste ! D’un autre côté, si j’ai un jour eu l’espoir de trouver une femme, cet espoir est depuis bien longtemps enfermé dans une sorte de cage dorée, et je ne le sors plus. Alors, alors pourquoi est-ce que je lui ai demandé de m’épouser, à Valaina ? Pourquoi est-ce que je lui ai dit tout ça ? Je n’en sais rien. Pourtant, au fond de mon cœur, cette idée me plait presque. Cette idée me donne un peu le tournis. Je soupire et secoue la tête avant de contempler Valaina qui me rabroue. Je suis piégé, foutu, elle va tout faire pour m’empêcher de m’amuser. Alors… Alors je m’enfonce dans ma blague. Je m’y enfonce et je n’ai d’autre idée que celle de la taquiner un peu plus. Parce qu’il est drôle à mes yeux de l’embêter. Pour une fois qu’elle ne me rabat pas le caquet de manière totale et absolue…

- Je sais parfaitement que si le dragon me crame, je suis foutu. Mais on a décidé de ne pas se faire cramer. On est des elfes, on est largement plus agiles qu’un lézard de quatre mètres de haut.

Je m’entête ? Oui, vraiment. Je croise les bras et je l’observe, avant de me sentir… touché par ce qu’elle dit. Je suis touché par cette expression qu’elle a. Touché par son envie de me sauver la vie avant même que je n’ai commencé la bêtise du siècle. Je soupire un coup avant de croiser les bras pour l’observer quelques minutes.

- Je… te promets que je ferais attention, et que si la situation ne s’y prête pas je n’irais pas tenter le diable. Mais, je ne te promets pas que je n’irais pas voir le dragon. Je veux en voir un depuis des siècles, et c’est l’occasion unique. Ça ne se reproduira peut être pas d’ici à la fin de ma vie…

Je pose une main sur la sienne, un sourire qui se veut rassurant sur le visage. Son regard dans le mien, j’essaie de réfréner les battements de mon cœur. Ma main serre la sienne et je la contemple, avec un air inquiet à mon tour.

- Je ferais autant attention que possible, d’accord ? Mais, toi… Promet moi aussi de faire attention… C’est dangereux ici… Tu risques gros à vouloir rester avec tes patients alors que les nains réveillent le dragon… Bien plus gros que moi qui serais dehors à guetter le ciel toute la journée.

- Si tu ne me casse pas la serrure à chaque fois que tu essaie de la crocheter, ça peut encore se faire.

Je ris un peu, avant de froncer les sourcils en entendant Valaina me proposer de venir chez elle… Quand elle est là. Je me laisse aller en arrière, avant de me contenter de soupirer un peu. Quelque part, dans ma nature humaine, il y a ce… ce droit au flirt. Cette envie de titiller Valaina, de la taquiner encore et encore, sur une pente qui est tout ce qu’il y a de plus sensible.

- Ho, donc tu préfères que je vienne lorsque tu es là ? Pour te servir de moi comme d’une bouillotte, ou parce que je te manque plus que ce que tu ne veux bien me l’avouer lorsque tu rentres de voyage ? Tu sais, si ce n’est que ça, je peux emménager chez toi. Par contre, j’ai récupéré un élevage de souris… Arnaël s’en occupe lorsque je ne suis pas à Imladris, mais… Si je dois habiter avec toi, je les prendrais. Je les aime bien mes petites boules de poils…

Et puis, vint le sujet du dragon. Le moment où ma main prend celle de mon amie alors que j’essaie de lui faire une demi-promesse. La promesse de faire en sorte que rien de mal ne m’arrive, face au dragon. Pensez-vous… J’ai toujours voulu voir un dragon, mais au fil des millénaires durant lesquels j’ai foulé ces terres, jamais je n’ai pris le temps d’en voir un. Manque de chance ? Certainement. Ou alors, surplus de chance ! Que sais-je ? De l’avis de Valaina, vouloir aller voir un dragon relève de la folie, c’est une chose que je peux comprendre, pourtant je n’ai pas l’intention de jouer avec le feu, loin de là. Non, j’ai envie de voir ce dragon, et quelque part ces histoires de surf sur le dos d’un dragon me semble tout ce qu’il y a de plus intéressant, mais… Mais je sais combien il faut faire attention à ne pas se retrouver sous les flammes. Parce que, comme le dit si bien mon amie : les flammes, ça brûle. Vraiment beaucoup.

- Mais pas trop loin, hein ? Je veux pouvoir voir le trou sur ses écailles, celui de la légende…

Bon, ça, ça veut dire proche, n’est-ce pas. Je m’avance au travers de l’espace qui nous relie, attrapant la tête de mon amie de ma main libre pour déposer un baiser sur son front avant de me reculer un peu, juste assez pour plonger mon regard dans le sien :

- Je reviens toujours, Valaina. Quelle que soit l’idiotie que je fais, je reviens toujours, entier, non ? Enfin, presque entier. Tu as soigné bon nombre de mes blessures, tu le sais, que je suis solide, Val’

- Non, en effet, si tu as la clef pas besoin de crocheter la serrure. Du moins, pas la mienne. Mais tu pourrais en crocheter d’autres. Pour faire des blagues.

Un sourire sur mes lèvres, je me contente de hausser les épaules. Oui, j’avoue, j’ai longtemps fait des blagues grâce à mes talents de cambrioleur. Bon, ce n’était pas drôle pour tout le monde, mais d’un autre côté, il n’est pas possible pour moi de faire autrement. Les blagues, c’est la vie, tout simplement. Je n’aime pas avoir l’impression de me retrouver face à des trucs sérieux, face à des choses plus que normale. Je n’aime pas les choses normales. J’ai toujours ce besoin de m’échapper. De dire des bêtises.

- Mais non, les souris ne mangent pas des plantes. Ça mange des graines. Et du fromage. Et des quignons de pain. Mais, tes herbes ? Non, je pense réellement qu’il n’y a pas de soucis à te faire. Elles n’auront rien. Et puis, elles sont mimis comme tout, avec leurs petites moustaches…

Pour le coup, je ne comprends pas pourquoi Elladan a peur de ces bestioles. Non, vraiment je ne comprends pas. Tout comme il ne comprend pas ma phobie des grenouilles il faut l’avouer. Enfin, ce n’est pas grave : nous sommes frères, c’est à la vie à la mort, d’autant plus vu qu’on est jumeaux. Des doubles pour l’éternité… Deux frères liés par un lien si fort qu’il en devient indestructible.

Et puis, au bout d’un moment, je me retrouve à parler du dragon. À observer Valaina en face de moi, droit dans les yeux. À essayer de la rassurer, que jamais je n’irais me mettre au-devant du danger de manière trop brusque et soudaine. Bon, c’est un peu faux. C’est un peu faux, parce que j’ai envie de me retrouver face à lui. J’ai envie de me retrouver face à cette créature, ne serait-ce que pour vérifier qu’elle est réelle.

- Val, ne t’en fait pas… Je reviens toujours en vie, tu le sais.

Ma main serre la sienne et j’ai envie de la lâcher pour caresser sa joue. Pourtant, je ne bouge pas. Parce que mon cœur s’emballe un peu. Je me relève au bout de quelques secondes, et je me passe la main dans les cheveux.

- Je vais aller retrouver mon frère avant qu’il ne s’inquiète de savoir où je suis passé. On a pris une chambre à l’auberge. Tu veux dîner avec nous ?