La naine était seule et parcourait les plaines près des Monts Brumeux. A pieds, vêtue de vêtements chauds en fourrure pour palier à la froideur hivernale et aux glaces, elle avançait, volontaire. Elle avait depuis peu trouvé la piste d'un Forgol, un immense félin qui vivait dans les régions désertes. Mais celui qu'elle chaissait devait être blessé, peut-être surpris par les températures rigoureuses. Freya elle-même était glacée jusqu'à l'os, sous les vents charriant la glace. Elle sentait son nez s'engourdir et elle le frotta de ses mains gantées, quand elle entendit un rugissement tout proche, sans pourtant pouvoir en déterminer l'origine dans le tumulte venteux.
« Chier ! » grogna t-elle et elle se tendit, son ocarina à la main, sa hache dans l'autre.
Mais la neige reflétait le peu de lumière. Elle plissa les yeux et remarqua enfin la silhouette du félin ; gigantesque, tapis dans un coin sous un rocher, il grognait, remuait sous sa blessure. La naine s'approcha, essayant de cacher son odeur sous le vent. Mais le félin dut l'entendre, et il se redressa, ses dents de sabre claquant dans le vide. Il avait l'air affamé ; ça tombait bien, Freya l'était tout aussi. Elle porta son ocarina à sa bouche, la peur au ventre que le fauve n'entende pas sa musique. Mais quand elle se mit à siffler son air, les secrets de ses arcanes, ses rythmes magiques, elle sentit qu'ils faisaient effet. Le fauve se calmait, il sembla même prêt à faire demi-tour. Freya était prête à l'abattre, quand un coup de vent noya ses notes ; le fauve, rendu fou par l'odeur proche de la naine, rugit, et bondit sur elle. Freya ne l'esquiva qu'en faisant une roulade sur le côté. Elle brandit sa hache et l'enfonça dans le cou de la bête ; elle se débattit et il n'y eut que l'épaule de touchée. La naine et le fauve restèrent là, à se regarder, jaugeant leurs forces ; elle savait qu'elle gagnerait, quoi qu'il lui en coûte. Le fauve gronda, puis bondit de nouveau. Freya l'esquiva de nouveau, et cette fois fit mouche ; la nuque fut tranchée, déchiquetée par la hache émoussée. Elle pesta tout bas sur la qualité piètre de son arme et s'approcha du cadavre encore chaud. Elle pourrait se faire une pelisse avec la fourrure, pensa t-elle en retirant un gant et en caressant la fourrure. Elle se mit à dépecer la bête, puis fit cuire un feu sur lequel grésilla un morceau de viande. Quand elle fut sûre que son feu était bien grand, capable de faire fuir les bêtes sauvages, elle alla continuer quelques mètres plus loin la découpe de la bête. Elle ne prendrait que les morceaux intéressants, et laisserait le reste aux charognes. Elle ne pouvait pas tout transporter. Elle incisa les nerfs, et s'apprêtait à s'arrêter, couverte de sueur à cause de ses fourrures malgré le vent, quand il lui sembla sentir une présence.
Elle fit volte-face, aussi rapidement qu'elle put, des mèches de cheveux dans les yeux, l'air mauvais, un instrument d'os monté près de ses lèvres. Elle était prête à figer un ennemi ou à endormir une bête ; prête à tuer d'un simple accort, encore fallait-il que le vent laisse jaillir ses notes.
Thorin était en chemin pour une réunion importante. Le nain traversait les Monts Brumeux, enroulé dans son manteau de fourrure, les sens aux aguets. Ces routes étaient dangereuses, autant à cause des animaux sauvages que du temps changeant régulièrement ; cependant, c’était le chemin le plus court vers sa destination. Peu chargé, le roi en exil voyageait à pied et prenait le temps de chasser ou cueillir sa nourriture. Etant parti à la va vite, et n’ayant pas pris soin de préparer des provisions, le fils de Thráin marchait d’un bon pas et se disait qu’il attendrait rapidement son objectif. Pendant le trajet, ses pensées étaient toute tournées vers la quête à venir, et la perspective de récupérer son foyer. Et surtout, cela apporterait un peu de sérénité et de pérennité à son peuple. Les nains sous la montagne méritaient de revenir à Erebor, et de reprendre possession de leur honneur et du court de leur vie. Pour le moment, ils ne faisaient que survivre et tenter de se construire une vie en dehors de la protection du royaume sous la montagne. Une vie rude. Certes les nains s’étaient endurcis grâce à cette vie de bohème, et là où certains n’auraient été que des artisans ou des maîtres tailleurs ou forgeron, on trouvait des guerriers aguerris par des combats, ou des années de voyager à travers les Terre du Milieu. Plus ses pensées se tournaient vers ce type de réflexions, et plus son humeur s’assombrissait. Complètement perdu dans son esprit, Thorin ne dut sa survie qu’à son instinct, bien développé par sa vie durant ce siècle passé. Un forgol lui sautait dessus. Ayant sa hache de guerre à la main, le voyageur blessa lourdement l’animal. Ce dernier disparut aussi vite qu’il était apparu, peut-être le nain était-il un adversaire bien plus fort qu’il ne l’avait imaginé.
Pendant les heures qui suivirent, Thorin pista l’animal. Autant pour récupérer sa fourrure et sa viande, que pour abréger les souffrances de la bête, le guerrier lui avait infligé une blessure qui le rendrait handicapé pendant quelques jours ; elle deviendrait une proie facile, et souffrirait de plus en plus au fil des jours. Le fauve s’enfonçait dans les hauteurs des monts, et le temps se désagrégeait très rapidement. Des vents puissants, et de la neige. Chaudement habillé pour ce voyage, le roi sous la montagne avançait comme si le temps n’avait aucune prise sur lui… comme si le temps était au beau fixe, et que le vent l’évitait en dévastant tout autour du lui. Une force de la nature. La piste disparaissait au fil du temps, et le voyageur n’avait plus qu’une vague idée de la direction à suivre. L’animal semblait marcher en ligne droite, probablement pour rejoindre son antre et tenter de se remettre de sa blessure. Décidé et opiniâtre comme tous les nains, il continua ainsi pendant des heures s’éloignant de son chemin initial. Au milieu de ce déchaînement de neige, Thorin remarqua un grand feu, puissant tel un phare pour guider les voyageurs. Arrivé à destination, le nain s’approcha du camp improvisé avec une expression dure et fermée sur le visage. Ses mots résonnèrent sèchement dans le silence, alors que le propriétaire du feu l’observait attentivement.
_ « Ce qui éloigne certains prédateurs peut aussi faire venir des adversaires encore plus dangereux. »
Le nain n’était pas ravi de voir sa proie dépecée par un étranger. D’autant plus une personne aussi peu prudente dans cette région. Thorin fixa son interlocuteur… qui se révéla être une femme, et plus précisément une naine. Son visage lui rappelait un vague souvenir, des images d’Erebor et du temps où la gloire des nains sous la montagne atteignait toutes les contrées des Terres du Milieu. Fixant la demoiselle intensément, le nain reprit la parole sur un ton légèrement plus doux, et plus amical que précédemment. C’était une naine d’Erebor, et pour cela, elle méritait le respect et la protection du roi exilé. S’approchant vers le feu, quittant l’obscurité, le voyageur laissa le temps à son interlocutrice de le regarder et probablement le reconnaître.
_ « Votre visage ne m’est pas inconnu, malheureusement, j’ai du mal à remettre un nom dessus. En tout cas, pardonnez cette intrusion. Je pourchassais votre repas, que j’avais blessé un peu plus tôt dans la journée. »
Thorin s’arrêta à quelques pas de la demoiselle, restant prudent malgré tout. Sa mémoire ne lui faisait pas défaut, enfin pas totalement. Mais Erebor était tellement loin, et à cet instant, il se rendit compte à quel point il avait changé depuis cette époque. A présent, tout reposait sur les épaules de la naine. L’odeur de la viande en train de griller faisait doucement gronder l’estomac du roi, et augmentait sa faim déjà naissante un peu plus tôt dans sa traque.
La silhouette en face d'elle n'était pas humaine, encore moins elfique ; un nain, légèrement plus grand que lui. Habillé chaudement - qui ne l'aurait pas été, par un temps pareil ? Le vent charriait des éclats de glace, qui se figeaient sur la peau et y givrait si les audacieux n'y prenaient pas garde. Son instrument d'os à la bouche, la naine observait le nain face à elle. Et quand résonna sa voix, son coeur manqua un battement. Non, ça ne pouvait pas être possible ...
« Les ennemis dangereux ne me font pas peur » s'entendit-elle prononcer, d'une voix un peu rauque.
Non, non, non. Son cerveau était comme en blocage. Car, devant elle se tenait Thorin. Le prince, le roi, le nain. Elle le laissa approcher, et aux lueurs des feux lointains, elle vit son air altier, distant, se faire plus doux ; était-ce parce qu'elle était une naine ? Freya resta immobile, comme si le fait de ne pas bouger pouvait la faire disparaître. Elle se sentit trembler en entendant les mots de son roi, plus aimables que précédents ; son visage lui disait quelque chose ? Elle en était flattée. Elle mit un genou au sol, se moquant de la neige ; elle aurait pu pleurer de joie de voir son souverain en face d'elle. Un grand sourire s'étalait à présent sur son visage ; personne n'aurait pu deviner à quelle point elle était ravie. Elle avait revu son souverain. Il avait l'air plus vieux, et à la fois il était le même.
« Votre Altesse ... Cela fait longtemps que j'ai quitté notre Erebor natale. J'étais barde du temps du règne de votre grand-père ; je jouais de la musique et racontais des contes aux enfants près des feux. Je m'appelle Freya. Veuillez accepter de partager mon repas. »
Elle se redressa, ayant le sentiment d'être terriblement maladroite ; elle se sentait trembler d'impatience, de nervosité. C'était la première fois, si elle se souvenait bien, qu'ils se parlaient. Mais elle l'avait autrefois suivi dans les couloirs pour l'observer, jeune fille transie d'amour pour un prince dont elle ne connaissait que le nom et l'apparence. Et il était devenu bien plus séduisant. Mais la rudesse des jours passés marquaient son visage. Elle s'approcha du feu, l'invitant à faire de même ; elle rangea distraitement son instrument dans son sac, laissé sur le côté du feu, et s'assit sur un rocher ; elle avait empaqueté la viande dans la fourrure de l'animal. Tout était là, prêt à être fumé ou salé. Elle leva enfin le regard vers Thorin ; elle n'y croyait toujours pas. Elle essayait de ne pas le regarder avec trop d'insistance, mais sa simple présence était une joie pour la naine. Elle ne savait pas par où commencer, quoi lui dire. Un mot de trop et peut-être le froisserait-elle ...
« Vous avez quasiment fait tout le travail à ma place ; la bête était à moitié morte quand je l'ai achevée. » fit-elle d'un ton humble.
Elle se tut de nouveau puis, ayant surpris un nouveau grondement de l'estomac du prince, elle retint un sourire affectueux et sépara le morceau cuit en deux ; elle en tendit un à Thorin et prit l'autre puis déposa une outre pleine de bière sur le côté. Ce n'était pas grand chose, mais c'était plus qu'elle n'avait eu depuis des années. Le feu formait un halo jaune orangé, tiède comparé au vent qui soufflait. Les cheveux de la naine voltigeaient, mais elle n'y faisait pas attention. Elle se brûla légèrement les doigts sur la graisse chauffé de la viande. Le repas était chaud, la viande juteuse ; elle se remplit le ventre et il fut agréable de sentir la chaleur se répandre dans son corps. Quand elle eut finit, elle alla remettre quelques bûches dans le feu, puis se rassit ; oserait-elle proposer au prince un de ses contes ? Elle en avait composé un sur Erebor ; sur la lignée royale, sur Thrain, sur Thror. Sur Thorin, bien entendu ; comment ne pas vouloir chanter le courage et la force de ce roi né ? En le voyant en face d'elle, Freya le sentit en elle comme si son sang charriait cette volonté : il devait reprendre Erebor. Parce qu'il était le prince, parce qu'il devait gouverner. Il avait ça dans le sang. Elle sourit de nouveau, intimidée par son charisme.
En approchant du feu, Thorin constata une chose qui ne lui plut pas. Sa proie était morte, et en cours de dépeçage par un étranger, peu prudent de son point de vue. Le roi s’approcha à la limite du feu, et prit la parole de manière cinglante et tranchante. La rudesse du voyageur dépité de voir son repas s’envoler. Et pourtant, en s’approchant et en observant son interlocuteur, le nain eut le plaisir et la surprise de voir une naine. Et plus particulièrement une naine d’Erebor, ce dont il était sûr même si le nom lui échappait encore. Sa réponse était digne d’une naine sous la montagne, forte et provocatrice. L’expression du roi se détendit totalement, et il s’approcha encore plus du feu avant de reprendre la parole. La rudesse et la froideur laissa place à la chaleur et à la douceur, pour une compatriote. Enonçant tout simplement des faits, Thorin attendait la réaction de cette demoiselle. Après avoir fini sa phrase, le voyageur se souvint alors de cette jeune naine, le suivant à travers Erebor, avec qui il jouait à ses dépens. En effet, ayant repéré sa présence sans jamais lui avoir adressé la parole, le prince s’amusait à tenter de la semer dans les longs couloirs du royaume sous la montagne, et à la prendre par surprise. Cela lui rappelait de doux souvenirs, et lui permit de s’adoucir à nouveau. Lorsque son interlocutrice s’agenouilla, un sourire s’afficha sur le visage du roi. Le protocole était inutile dans ces circonstances, et il s’invitait dans son camp. Et pourtant, le roi en exil laissa la naine agir à sa guise.
Freya resitua donc leur première rencontre, et les détails de ses souvenirs. A cette époque, les sollicitations du prince des nains étaient grandes. Beaucoup de noms et de visages à retenir, sans jamais vraiment avoir le temps de faire connaissance. Accompagnant son hôte, le voyageur s’approcha du feu et se réchauffa faisant fondre les vestiges de neige présent sur sa veste. Assis avec dignité malgré les circonstances, Thorin observait la demoiselle discrètement, remettant des images et des souvenirs sur ce visage. Il fit un sourire lorsqu’elle prit la parole, et balaya son humilité d’un geste de la main avant de répondre.
_ « Ce n’est que par chance et par pur instinct que la bête fut blessée. Une seconde plus tard, et je me serais retrouvé à sa place. »
Enlevant les armes et les affaires accrochées à son dos, Thorin s’installa confortablement et se réchauffa les mains au-dessus du feu. L’estomac du souverain le trahit malheureusement à cet instant. Un bruit significatif, et plutôt audible. Sans se dépeindre de son expression neutre, le voyageur resta calmement à se réchauffer avec le feu de la naine. La nourriture ne tarda pas à arriver. Le nain dévora son morceau de viande, cette traque rendait le goût de celle-ci encore plus appréciable ; la satisfaction d’obtenir son dû rendait ce repas très gratifiant. Le roi sous la montagne sourit après avoir fini sa viande, avant d’accepter l’outre de bière. Il pillait les réserves de son hôte, mais la faim le tenaillait trop pour se montrer magnanime dans ces circonstances. A présent, le guerrier avait une dette envers la naine, et il comptait bien la payer un jour. Rompant ce silence pesant, Thorin reprit la parole. C’était gâcher une bonne bière, que de la boire dans le silence le plus complet. Les nains n’ont jamais été reconnu pour leur discrétion, ou leur calme lorsqu’ils sont autour d’un feu et d’un bon repas, que l’on soit roi ou non.
_ « Merci pour ce repas. J’espère ne pas avoir épuisé toutes vos réserves ma dame. » Un signe de tête apparut afin d’appuyer visuellement son remerciement, avant qu’il ne continue. « Sans indiscrétion, que faites-vous dans les Monts Brumeux aussi loin de toute civilisation ? Je savais que certains nains d’Erebor voyageaient encore dans les Terres du Milieu, mais pas aussi loin dans les montagnes. »
Encore une fois, le souverain reprenait le pas. L’inquiétude pour son peuple était sincère, et plus qu’un interrogatoire, c’était une quête d’information qui motivait ses parole. Voir cette naine, dans le froid et dans ces montagnes, le confortait dans l’idée qu’il était réellement temps de reprendre Erebor, de rendre leur foyer aux nains sous la montagne. Sentant la gêne de son interlocutrice, Thorin tentait de détendre un peu l’atmosphère par des expressions douces, et des regards encourageants à l’attention de Freya. Voir encore un membre de son peuple souffrir de cet exil était réellement dur pour le roi, et il se sentait mal à l’aise de la voir tenir autant au protocole. Pour le moment, ils n’étaient que deux nains partageant un repas dans une contrée hostile.
_ « N’hésitez pas à me répondre franchement. Je ne juge pas, ou ne cherche pas à réprimander. Je cherche juste des réponses, et la compréhension de la vie de mon peuple, et de ses membres les plus éloignés des colonies installées dans des contrées plus accueillantes. »
En effet, bien que nomades les premiers temps, les nains d’Erebor avait fini par former de petites colonies dans des contrées propices à leur installation, ou alors à profiter de l’hospitalité de leur cousin des autres royaumes nains. Le peuple sous la montagne était dispersé dans les Terres du Milieu, pour la plus grande peine de son souverain.
Thorin était assis en face d'elle, et la naine comprenait pourquoi il était roi. Son visage, à présent qu'il se savait en présence d'une naine de son peuple était douce, encourageante. Elle se sentit traversée par les affres de remords, de regrets ; les souvenirs de sa belle cité natale la tiraillèrent mais elle les repoussa, pour faire ce qu'elle avait fait depuis tant d'années : vivre dans le présent, et non plus dans le passé ou le désir d'un avenir. En cet instant, elle se repaissait de la présence de son roi ; le savoir vivant, proche d'elle, lui suffisait. Même si cette étincelle de sa jeunesse s'était mise à luire sous les cendres de sa raison. La réplique du nain la fit sourire ; il est vrai qu'elle avait bien faillit utiliser sur lui les charmes de sa magie de la musique. Heureusement qu'elle n'en avait rien fait !
Voir Thorin dévorer son repas lui faisait chaud au coeur, et elle repoussa ses paroles d'un léger geste ; cela ne la dérangeait pas. Il lui restait un tas de viande à saler, et la bière était vendue dans les villes de la terre du milieu. Il n'y avait pas de plus grande joie que de partager un repas avec un nain de sa race, surtout si ce dernier était un être auquel on tenait. Freya eut la vision fugitive de plusieurs nains ; Dwalin, Kili, Fili ... Ses amis, ceux qui l'avaient côtoyé étant jeune. Elle revint au présent et hocha la tête aux questionnements de son roi. Elle sentit son inquiétude à travers ses paroles, au-delà de la simple curiosité. Il ferait un bon roi. Il était déjà un roi, même si son peuple ne le savait pas, songea la naine avec un sourire par devers elle.
« Mon Prince ... Je suis venue ici pour découvrir où les nôtres se cachent. Certains se sont terrés dans des falaises, d'autres dans les villes. Je suis bien décidée à leur parler de votre quête ; je vais essayer de les convaincre de vous suivre dans votre reconquête d'Erebor. Nous devons retrouver notre chez nous. Nous devons reprendre notre Erebor. Et vous devez prendre le trône, mon roi ; notre peuple a besoin de vous comme souverain. Nous avons besoin d'un leader, qui saura où nous mener, et vous êtes ce chef dont nous avons besoin. »
Freya se gratta le nez, consciente de ses paroles enflammées ; sa langue de barde n'y était pas étrangère. La plupart de ses discours tenaient de cela ; elle savait où et quand mettre les tons, et parfois sans qu'elle le veuille sa voix modulait les intonations pour paraître plus convaincante.
« Je sais que vous vous inquiétez pour votre peuple. C'est ça qui fait de vous un nain apte à commander ; vous ne cherchez pas le pouvoir mais le besoin de votre peuple. Je suis fière d'être votre sujet. »
Si elle avait pu mourir pour lui, elle l'aurait fait ; pas parce qu'elle était amoureuse de lui, mais par loyauté, cette loyauté indéfectible qu'elle avait toujours ressentie pour lui. Elle tenta de briser la solennité de ses paroles par un sourire puis s'étira, faisant craquer ses épaules ; elle avait à présent retrouvé sa vivacité et sa nervosité s'éparpillait doucement, calmée par les airs doux de son roi. Elle avait l'air de le connaître depuis longtemps ; leurs discussions et son ton amical avaient donné à leur petit camp de fortune une espèce d'intimité qui réjouissait intérieurement la naine, bien qu'elle n'eut pas sujet de se réjouir.
« Souhaitez-vous fumer ? » demanda t-elle en sortant une pipe en bis de hêtre de son sac, ainsi qu'une blague de tabac aux senteurs épicées. Elle-même fumait rarement, en des occasions spéciales, mais celle-là n'en était-elle pas une ? Revoir son prince après tant d'années ! Elle eut même l'audace de se mettre à fredonner tout bas une mélodie sans paroles alors qu'elle remplissait sa propre pire et prenait un brandon avec précaution pour allumer son tabac. Elle jeta un regard à Thorin ; rien n'avait disparu. Elle avait toujours l'impression d'être une jeune naine se cachant derrière les murs pour l'épier ; elle avait le sentiment que c'était hier qu'elle courrait après lui pour le rattraper quand il se mettait à courir. Que c'était hier qu'elle se glissait comme une ombre dans son sillage, sans savoir qu'elle était aussi discrète que son feu de camp de ce soir. Elle sourit, mais continua de chantonner. Une idée lui vint, et elle cessa pour reprendre la parole :
« Mon prince, me vient à l'esprit que vous ne devez pas connaître les secrets de combat de ma famille. Mon plus grand souhait est de combattre à vos côtés pour restituer votre place de roi ; aussi je pense que vous devriez connaître cela. Je suis la dernière représentante de ces secrets. Souhaitez-vous être mis au courant ? » demanda t-elle, et son ton taquin avait pris une note de défi, comme si elle le défiait de dire oui, d'accepter ces secrets. Elle souriait de part elle, certaine qu'il ne les connaissait pas ; seul le roi couronné avait eu vent de la musique de la famille de Freya et de ses propriétés au combat. Freya avait bien envie de lui faire une démonstration ; était-ce raisonnable ? Mais sa raison s'était enfuie, en même temps que son Erebor et sa famille. Ne restait plus à présent que son esprit exubérant et bavard. Au grand dam du prince.
Le repas fut agréable, et la bière revigorante. Freya avait invité le roi à partager son repas, même si la moitié de la proie lui revenait de droit finalement ; un autre que la demoiselle aurait probablement reçu une leçon sur la possession, et aurait subi la mauvaise humeur de Thorin. Le nain avait quitté la colonie des Montagnes Bleues depuis quelques jours, envoyant des nains de confiance vérifier certains détails pour la quête à venir. Ils devaient tous se retrouver dans la Comté, et y rejoindre le dernier membre de la compagnie imposé par Gandalf. Cette perspective ne lui plaisait guère. Erebor devait être reprise par des nains, et uniquement les nains. Même si le souverain aurait apprécié recevoir l’aide de ses cousins des autres royaumes nains, il ne regrettait pas de ne partir qu’avec des nains sous la montagne. Des hommes de confiance, et à la loyauté éprouvée depuis bien longtemps. On ne pouvait rêver meilleur compagnon. Des hommes comprenant la véritable signification du royaume sous la montagne, et surtout la valeur d’un foyer. Peu de gens pouvaient comprendre les sentiments des nains en exil, et pour le moment, le roi en exil n’avait rencontré que Gandalf qui soit digne de confiance pour les aider. Ces derniers temps, ses pensées dérivaient souvent vers son royaume perdu, et la perspective de le récupérer prochainement. Le silence pesa lourdement une fois le repas terminé, et Thorin brisa ce dernier avec ses inquiétudes et ses interrogations. Son ton était doux et encourageant, laissant paraître l’inquiétude que le nain avait pour son peuple.
Les intentions de Freya était noble, mais inappropriée pour le moment. Gandalf avait raison sur un point : la discrétion était importante. Si on apprenait qu’une expédition se montait pour reconquérir Erebor, les cupides de la Terre du Milieu prendrait alors la décision de se lancer aussi ; il fallait que le doute subsiste encore un peu sur les intentions des nains, et que les autres peuples continuent d’hésiter sur la manière d’aborder le problème de Smaug. D’ailleurs, comment cette jeune naine avait-elle appris l’existence du projet du roi en exil. Peu de personnes connaissaient ses intentions, et toutes comptaient parmi ses proches, ou les personnages importants des autres royaumes nains. Son regard resta malgré tout amical pendant qu’il dévisageait la naine en quête de réponses. Le barde derrière la demoiselle avait refait surface durant son petit laïus, enflammé et passionné. Thorin fut ravi de voir l’enthousiasme et la passion dans un membre de son peuple. Les nains sous la montagne étaient forts, et le resteraient. Le royaume d’Erebor serait rapidement reconstruit, et son peuple retrouverait son honneur très rapidement. Avec un sourire de gratitude, le voyageur reprit la parole sur un ton serein et toujours très doux.
_ « Je te remercie Freya. Je ne sais pas si je ferais un bon roi, mais en tout cas, je ferais tout pour redonner son foyer et son honneur à notre peuple. Tes intentions sont louables, et ta passion digne de respect jeune barde. Cependant, cette quête doit rester la plus discrète possible pour le moment. » Il marqua un temps de pause avant de continuer. « D’autres loups guettent le moment de piller notre royaume, et de nous voler nos richesses. Pour le moment la crainte les retient éloignés d’Erebor, mais s’ils apprennent notre projet, certains pourraient s’enhardir et tenter l’aventure aussi. Je pense que tu comprends parfaitement ce que je veux dire. »
Avec un dernier sourire très léger, Thorin conclut sa phrase. Ne rien cacher à l’un des membres de son peuple était important. Freya le comprendrait certainement, et l’analyse de la situation était factuelle. Sur ce point au moins Gandalf avait raison, ce magicien pouvait se révéler être d’excellent conseil par moment. L’expression du roi était toujours douce, un fait rare ces derniers temps. Sa rudesse et son opiniâtreté étaient devenues légendaires, et seuls quelques nains en comprenaient les raisons profondes. Et pourtant, son peuple lui faisait confiance et croyait en lui… Il le suivrait aveuglément même dans la mort. Fumer. Une activité intéressante et relaxante. En guise de réponse, Thorin sortit sa propre pipe de son paquetage et la montra à la demoiselle, avant de sortir sa propre herbe à pipe. L’atmosphère devenait plus douce, surtout avec le fredonnement de la barde. Cette soirée s’annonçait agréable, et sympathique malgré le temps rude et la contrée inhospitalière. La proposition de Freya semblait impromptue et étrange. Peut-être cherchait-elle à prouver sa valeur auprès de lui. Un fait plutôt répandu ces derniers jours, depuis l’annonce de la quête auprès de certains. On cherchait à l’impressionner, et lui prouver de son utilité pour le combat à venir.
_ « J’ai entendu des rumeurs sur certains musiciens, mais rien de plus effectivement. Libre à vous de me livrer vos secrets, ou de les garder pour vous. Cependant, je ne peux rien promettre. La compagnie est déjà choisie ma chère. »
Thorin avait déjà entendu Balin et, ou Dwalin parler de ces musiciens mêlant mélodie et magie. Il ne connaissait cependant rien à la manière dont cela fonctionnait, et toutes les possibilités de cet art ancestral. Le ton du roi en exil était neutre, et serein ne laissant rien paraître de la curiosité grandissant en lui. C’était plutôt rare que quelque chose intéresse le voyageur, pour qu’il souhaite en savoir plus. Malgré ses cent années d’existence, Thorin continuait d’être surpris par son peuple et ses secrets. Malheureusement, son père et son grand-père n’avaient pas eu le temps de lui révéler ces derniers avant de disparaître et de le laisser gérer les choses à sa manière. Balin était une aide précieuse, mais il restait uniquement son oncle et en connaissait aussi peu que lui finalement. Concluant ses réflexions, le roi en exil reprit la parole une dernière fois.
_ « J’avoue malgré tout être intéressé par ce secret. Comme vous le savez, mon père et mon grand-père n’ont malheureusement pas eu le temps de me transmettre les connaissances des rois sous la montagne. »
Thorin ne put réprimer une pointe de tristesse et de nostalgie passer sur son visage, ces évènements n’étaient pas récents mais toujours aussi douloureux… Cela ravivait une nouvelle fois sa haine du dragon, et des elfes. Personne n’était venu les aider, ou n’avait apporté un quelconque secours à son peuple. Et pourtant, ils avaient survécu et était maintenant en chemin pour récupérer leur royaume.
Freya avait beau être enflammée, elle restait cependant ouverte, et les paroles de Thorin ne lui firent pas l'effet d'un coup, comme cela l'aurait fait habituellement. Il avait juste expliqué un fait, et elle lui fut reconnaissante de ne pas l'avoir remise à sa place avec des propos plus secs. Elle se mordilla la lèvre ; il avait raison, bien sûr. A quoi avait-elle pensé ? Elle retint un soupir, et sortit un rond de fumée de sa pipe, appréciant le goût épicée de son herbe. Elle était pensive ; elle n'avait aucune envie qu'Erebor soit pillé par les autres races, ou pire, leurs propres cousins nains. Mais l'avidité était un fait, ancré dans tout ce qui marchait sur deux pattes ; néanmoins, la naine restait convaincue qu'il fallait des hommes à Thorin. Comment pourrait-il reprendre Erebor alors ? Mais elle le laisserait faire, alors ; il avait prit sa décision, ce n'était pas à elle de décider. Elle se sentait légèrement dépouillée, à présent que son but soit-disant honorable était parti en fumée.
Malgré le ton neutre que prit Thorin au sujet de ses secrets, la naine sentit qu'il était intéressé ; elle ne répondit pas tout de suite. Peut-être aurait-elle dû quand, dans une pointe de tristesse, il parla de son père et de son grand-père. La naine regretta d'avoir mit le sujet sur le tapis, mais elle n'y pouvait plus rien. Sans vraiment le faire exprès, par pur réflexe, elle posa sa main sur l'épaule de son roi ; elle ne la laissa qu'un instant, mais ce simple contact l'électrisa. Elle espéra qu'il ne prendrait pas ce geste pour déplacé.
« Je comprends votre peine, et la partage. »
Elle ne dit rien de plus, cela n'aurait pas été utile ; nul besoin de dire que sa tristesse la touchait, qu'elle avait elle-même perdu sa famille et qu'elle comprenait ce sentiment de désolation, de solitude, même entourée de gens. Elle le comprenait comme beaucoup de nains le comprenaient, mais elle chérit ce moment. Elle sourit au prince, non pas de compassion ou de pitié, il ne l'aurait jamais accepté, mais un simple sourire doux, empreint de sa propre tristesse. Histoire d'égayer un peu tout cela, elle embraya donc sur son secret.
« Ma famille avait développé leurs dons pour la musique à un point presque unique. Ils jouaient de leurs instruments avec une grâce qui était née de l'expérience. Je suis loin d'atteindre leur niveau, mais je me débrouille. Lorsque j'ai atteint l'âge qu'il fallait, ma mère m'a expliqué ce que nous cachions exactement. Nos instruments sont fait d'os, mais pas n'importe lesquels. Ce sont les os de créatures spéciales, qui recèlent un peu de cette magie qui nous est si utile. Ils ont découvert également certains accords qui, en résonance avec cette magie, ont des effets tout à fait surprenants. »
Elle se pencha puis prit un petit ocarina d'os blanchi, sorte de petite chose ovale avec des trous, aussi gros qu'une paume de main. Elle jeta un coup d'oeil à Thorin, un petit sourire mutin aux lèvres, les yeux pétillants de malice ; lui ferait-il confiance pour qu'elle joue ? Elle porta l'instrument à ses lèvres, plaça ses doigts dans une certaine position, puis souffla.
Jaillirent alors des notes. La musique semblait vivante, comme un serpent qui rampe. Freya lança les accords sur Thorin, et ferma les yeux, concentrée sur ce qu'elle faisait passer. La musique de la joie ; des accords qui résonnent dans les corps des gens, faisant naître en eux des images, des souvenirs heureux, leur implantant une joie non pas factice mais pure et précieuse ; hélas cette joie ne durerait pas éternellement. Alors Freya joua, parce que c'était le seul moyen pour elle de rendre un peu de bonheur à son souverain ; ses doigts bougeaient rapidement sur l'instrument. Les joueurs de la musique ne ressentaient jamais les effets. Il fallait toujours se concentrer sur la ou les cibles ; donner un effet à plusieurs personnes étaient toujours plus difficile car il fallait les avoir bien en tête. La musique flottait à présent dans l'air, notes cristallines, faisant jaillir des images de paysages lointains, de contrées lointaines, et Freya s'arrêta quand elle se sentit épuisée par sa concentration. Elle ne savait pas combien de temps elle avait joué, mais elle se sentait essoufflée. Elle reprit un peu d'air, les yeux baissés sur l'instrument dans sa main. Elle aurait aimé donner cette joie aux nains à jamais. Elle se reprit puis se gratta le sourcil, relevant les yeux. « Je peux ainsi paralyser, endormir, voir tuer en quelques notes. C'est pratique, très pratique. Cela déconcerte souvent mes ennemis quand je lève à mes lèvres un ocarina plutôt que ma hache. » fit-elle avec un sourire en coin.
Elle observa de nouveau le visage de son roi. Elle ne pouvait pas se joindre à lui dans la compagnie, comme il l'avait dit plus tôt. Les compagnons avaient déjà été choisis. Mais qu'allait-elle faire, à présent ? Elle se sentait perdue. Elle était heureuse qu'il soit là, mais ses plans étaient chamboulés et elle se sentait à présent inutile. Elle ne voulait plus conter auprès des feux humains. Elle voulait retourner à Erebor avec Thorin. Mais c'était impossible.
Beaucoup de nains avaient exprimés le désir d’accompagner leur roi pour reprendre Erebor, même s’ils s’étaient moins nombreux que ce qu’avait espéré le nain. Et pourtant, le nain avait sélectionné onze d’entre eux pour faire partie de cette expédition ; elle reposait surtout sur l’idée que Smaug n’était plus. Certes si le dragon était encore dans le royaume sous la montagne, la tâche s’avèrerait plus que compliquée. Elle deviendrait impossible. Seulement, Thorin souhaitait tenter l’aventure. C’était leur royaume, leur terre natale et leur trésor. Ce serait bafouer la mémoire de ses ancêtres que de ne pas agir, et laisser un autre peuple prendre le travail et le labeur des nains. Sur un ton doux et réconfortant, le souverain avait repoussé l’aide offerte par la naine. Peut-être ses compétences étaient utiles, mais cette mission nécessitait des âmes vaillantes, et des guerriers aguerris à qui le nain pourrait confier sa vie. Bien qu’ancienne connaissance, Freya n’était pas du cercle de confiance du roi en exil. Et pourtant, après avoir entendu la naine et surtout sa passion et son soutien, Thorin eut une idée qui pourrait être utile une fois Erebor reprise ; reconquérir le royaume pourrait s’avérer facile, ou ardu selon les circonstances, mais le garder s’avèrerait sûrement très difficile. Ces loups guettant l’or du royaume sous la montagne se lanceront immédiatement une fois Erebor en possession des nains. En tout cas, et pour le moment, l’idée germait doucement dans l’esprit du nain et faisait son petit bonhomme de chemin.
La tristesse du roi en évoquant son père et son grand-père disparut presque immédiatement autant de son fait, que par l’attitude de la naine à son égard. La main posée sur son épaule partait d’un bon sentiment, mais elle révélait une faiblesse de sa part malheureusement. Une chose que le souverain ne pouvait se permettre. On comptait sur lui, et il n’avait pas le droit de flancher ou de paraître faible. Il rendit son sourire à Freya, et se montra attentif à ses futures paroles, tout en fumant sa pipe. De petits ronds s’échappaient de sa bouche, et s’envolaient en une suite ininterrompue. Freya reprit rapidement la parole, et exposa l’histoire de sa famille, ainsi que son secret. Ainsi donc Thorin faisait un pas de plus vers son futur trône. Tout roi se devait de connaître son peuple, et ses capacités. Les paroles de la naine étaient étranges, et pleines de promesses d’une puissance plutôt utile. La portée de cette magie dépassait de loin le cadre du combat, elle pouvait mettre en de bonnes conditions des personnes ayant à signer un contrat ou une chose dans ce genre. Enfin, le roi sous la montagne s’égarait un peu de sa mission. Pour le moment, il fallait déjà récupérer le royaume sous la montagne. L’instrument de musique l’intrigua lorsqu’il le vit, et son instinct lui souffla de se méfier. Sur le ton de la plaisanterie, Thorin prit la parole.
_ « J’espère que vous n’allez pas chercher à me manipuler pour me faire changer d’avis. »
Thorin était prompt à accorder sa confiance au membre de son peuple, aussi prompt qu’il était à la refuser aux autres. Un fait que beaucoup lui reprochait. Sa réputation de personne antipathique et rude confirmait les préjugés portant sur les nains, tout autant que son courage et sa force. Silencieusement, continuant de fumer sa pipe, le roi en exil se laissa porter par la musique… Elle l’enveloppa, et lui fit voir des images sorties de son esprit. Le nain revit la montagne solitaire, la ville de Dale, les jeux qu’ils pratiquaient avec son frère et sa sœur durant leur enfance. Des souvenirs agréables, qui ne remontaient que très rarement à la surface. La musique s’estompa doucement, et disparut totalement en même temps que ce sentiment de sérénité et les images.
_ « Je vois. C’est effectivement un pouvoir bien déconcertant, et intriguant. Mais qui pourrait s’avérer utile en d’autres circonstances, et en dehors du champ de bataille. » Il réfléchit un moment, et continua malgré tout. « A vous voir à présent, je dirais que cette technique est plutôt éprouvante. Et probablement difficile à utiliser sur plusieurs personnes, mais je peux me tromper évidemment. »
Le silence retomba lourdement, mais le bruit du bois craquant dans le feu et les expirations de fumée rendaient l’atmosphère plus douce et agréable. Thorin réfléchissait aux possibilités de ce qu’il venait d’apprendre. Le véritable problème de sa quête était la suite. Beaucoup de nains avaient repris leur vie d’antan dans d’autres royaumes, et ne semblaient pas très motivé par un retour vers Erebor. Freya lui offrait une possibilité non négligeable. Soufflant plus longuement une dernière bouffée de sa pipe, Thorin s’éclaircit la voix et parla d’un ton légèrement plus solennel que prévu.
_ « Bien que vous ne puissiez pas faire partie de la compagnie, pour le moment, vous pourriez peut-être me rendre un service. Si notre quête est couronnée de succès, nous aurons besoin d’aide pour conserver notre royaume. Et vous pourriez nous aider pour cela. » Marquant une pause, il s’assura d’avoir l’attention de son interlocutrice. « Plutôt que tenter de trouver des âmes prête à m’aider pour reconquérir Erebor, j’aurais besoin que vous trouviez des nains prêt à la défendre une fois reconquise. Seulement, la plupart des nains n’ont plus de souvenirs de notre royaume. Peut-être pourriez-vous avec votre magie leur rappeler ce que nous avons perdu, et leur demander de se tenir prêt pour répondre à mon appel. Les nôtres comprendront ce que cela signifie, les autres chercheront à le deviner. »
Pendant un long moment, Thorin observa la naine attendant de voir sa réaction. C’était une mission importante qu’il lui confiait, presque autant que celle qu’il entreprenait lui-même avec quelques braves. Il comprenait que son peuple ait refait sa vie après cent ans d’errance et d’exil. Mais le roi sous la montagne avait à présent besoin d’eux, et il était conscient que treize personnes ne pourraient contenir un siège contre Erebor. Le royaume était bien trop grand et démesuré pour cela. Mais une centaine de nains prêt à défendre leur foyer serait suffisante. De plus, Thorin était sûr de pouvoir compter sur le soutien de son cousin Dáin et les nains des Monts de Fer. Après plus de cent ans à penser à la reconquête de son royaume sous la montagne, le nain avait bien préparé son action et son plan était plutôt bien ficelé… Même si Gandalf y avait mis les dernières touches. Ils avaient une vraie chance de reprendre le royaume sous la montagne.
Peut-être ne s'attendait-il pas à ce qui lui arriva. Thorin était le seul à voir ce qu'il voyait, ce que la musique faisait naître chez lui, mais Freya était simplement heureuse qu'il lui fasse assez confiance pour l'inciter à jouer. Son ton taquin cachait bien entendu une méfiance évidente - qui ne se serait pas méfié face à un tel don ? Mais plutôt que de lui retirer son instrument ou de lui ordonner de ne pas jouer, il l'avait laissé faire. Alors Freya essaya de lui donner toute la joie qu'elle pouvait. Mais l'exercice était éprouvant, surtout que la naine était déjà fatiguée par un long voyage, bien qu'elle ne le montra pas. Elle hocha la tête, doucement ; révéler les faiblesses de son art était difficile ; elle renâclait mais Thorin se devait également de savoir ce qu'il pouvait attendre d'elle.
« Je dois en fait visualiser les personnes ciblées. Je ne suis pas obligée d'être avec les personnes, mais il faut qu'elles entendent ma musique d'un moyen ou d'un autre. Lorsque j'ai le visage ancré dans mon esprit, la musique se focalise sur cette personne. Ainsi, parmi une foule, si je veux ensorceler une seule personne sans toucher les autres, cela me sera facile. Mais la concentration demandée est extrêmement éprouvante. Je pense pouvoir tenir quelques minutes sur plusieurs personnes, et j'ai déjà tenté sur une foule entière mais l'art n'a pas eu autant d'effets escomptés. » Elle essaya de gommer l'amertume de ses propos ; révéler ainsi ses expériences et ses échecs était loin d'être agréable. Elle se sentait encore petite, et avait encore bien des années pour se familiariser avec ce don. Elle se promit de s'entraîner longuement à son art, pour pouvoir mettre au service de son roi un talent que même sa famille était loin de posséder.
Freya aspira une bouffée de fumée et resta silencieuse, pendant que le roi prenait la parole. Tout en écoutant avec curiosité et intérêt, elle sentit le goût âcre, piquant, des herbes médicinales qu'elle avait utilisées dans son tabac. C'était un petit truc qu'elle avait appris ; les plantes pouvaient également avoir des propriétés sous forme de fumée. Légèrement moins utiles en étant inspirées, le fait qu'elle l'aspire par la gorge permettait aux effets premiers d'être utilisés. Ainsi, la belladone et la feuille-terne lui permettait de se relaxer. Elle sentit ses muscles se détendre et inspira un grand coup, cillant du regard sous les propos de son roi. Elle avait été perdue ; il lui offrait une main pour l'aider. Elle déglutit et répondit d'une voix un peu cassée par l'émotion.
« Ce serait un honneur pour moi de vous aider d'une quelconque façon. Mon aide vous est acquise. Ma vie est vôtre, je suis votre sujet, et vos désirs seront des ordres. »
Elle sourit, puis baissa les yeux pour cacher une lueur malicieuse dans son regard. Elle n'avait pas voulu donner à ses propos un double sens, mais il était possible qu'il y vit bien plus que le serment d'un sujet. Néanmoins, au lieu de se sentir nerveuse, elle se sentit apaisée par sa raison : tout cela n'était pas une plaisanterie. La malice partit de son regard, et elle redevint sérieuse.
« Je voyagerais donc à travers le pays pour offrir mes chants et ma musique magiques aux peuples. J'espère que chez certains des nains que je croiserais, cela leur évoquera notre Erebor, et je leur insufflerais le courage et la volonté de revenir chez eux, de défendre notre race et notre Erebor contre les pillards. Certains ont oublié ce que c'est que de faire partie d'une race fière et noble ; comptez-sur moi pour le leur rappeler. »
Freya sourit, et souffla sur les braises de sa pipe à moitié éteinte. La lueur orangée vacilla, flamboyante, éclairant un instant son visage. Elle tira une nouvelle bouffée et se remit à fredonner tout bas ; la force et la puissance étaient des pouvoirs reconnus dans le monde entier. Le courage, la volonté, l'espoir. Maintenant, il faudrait aussi compter sur la voix. Les chants, les contes, tout cela n'étaient pas que fariboles ; un chant de guerre parfaitement coordonné pouvait redonner une volonté d'agir, de puissants cris chantés pouvaient effrayer les ennemis. Freya eut un frisson et resserra sur elle sa pelisse.
Un rugissement lui fit tourner la tête. Des carnassiers, sûrement attirés par l'odeur de sang frais venant du cadavre du félin. Freya plissa les paupières pour observer aux alentours, mais une neige fine et blanche commençait à tomber, grésillant en fondant dans le feu. Les alentours étaient comme masqués par la tempête. Elle eut un nouveau frisson en entendant un rugissement plus proche. La chair de poule courut sur sa peau. Thorin devait le sentir lui aussi ; plusieurs créatures, grosses, peut-être la meute du Forgol tué. Freya prit doucement son ocarina. Les divers instruments pouvaient avoir plusieurs fonctions selon leurs formes ; elle cligna des yeux. Elle les entendit approcher doucement ; elle retint un soupir. Elle avait espéré être tranquille avec son roi.
Thorin vécut un moment des plus agréables, et des plus étranges à la fois. La musique lui rappela de merveilleux souvenirs, et le remplit d’une joie qu’il pensait impossible avant d’avoir reconquis Erebor. Savourant ces instants, tout en continuant de fumer sa pipe, le nain resta serein et calme ; même lorsque la musique cessa, sa position et son attitude n’avaient pas changé. Il agissait comme si rien ne s’était passé, et que tout était normal. En guerrier aguerri, et en voyageur expérimenté, le roi sous la montagne comprit en étudiant Freya et en analysant ce qui venait de se passer les défauts de cette magie, ou plutôt les points faibles de son utilisation. Le descendant de Durin savait que ses paroles revêtaient une grande importance, et surtout que la musicienne était la seule à pouvoir décider ou non de confirmer les doutes de son souverain. Calmement, Thorin fixait la demoiselle et attendait de voir ce qu’elle allait répondre. La confirmation ne se fit pas attendre, et le roi sous la montagne comprit un peu mieux les avantages et les inconvénients de cette magie ; cela se révélerait utile d’une manière ou d’une autre à l’avenir. Personne ne pouvait le prévoir, ni même le deviner par avance. D’ailleurs, dans l’esprit du fumeur, une idée germait petit à petit et prenait de plus en plus d’importance. Une utilité immédiate à cette magie pouvait être envisagée, et il en voyait déjà la portée concernant la fin de sa quête. Mais comme pour tous les nains, le choix appartenait à Freya, et jamais il ne lui viendrait à l’idée d’imposer quoi que ce soit à son hôte d’une soirée.
Thorin exposa sereinement, et clairement la situation et son idée concernant l’utilisation de ce chant providentiel. Freya était libre à présent d’accepter ou non d’aider le roi en exil, même comme ça, le nain n’était pas sûr que son nouveau plan fonctionne. Etonnement, la réaction de son interlocutrice ne le surprit pas outre mesure. Depuis le début, il avait senti la passion et la volonté de la naine à l’aider et à participer à la reprise d’Erebor. Un sourire sincère et ravi apparut sur le visage de Thorin. Encore une fois les nains sous la montagne montrait leur force, et leur courage. C’était ce qu’il pensait fortement dans son cœur. Certes sa compagnie ne comptait pas les meilleurs guerriers des Terres du Milieu, mais leur loyauté lui était acquise, leur honneur et leur courage n’étaient plus à prouver et ils possédaient tous un cœur vaillant. Tout cela avait été vérifié au cours d’aventure. Freya commençait à ressembler de plus en plus à ces hommes. La reconnaissance du souverain était déjà acquise à la musicienne, et son aide serait loué une fois Erebor entre les mains de son peuple. La comprenant parfaitement, mais préférant garder des relations professionnels pour cette mission, Thorin ne releva pas l’ambiguïté des mots utilisés par la naine ; son expression marquait nettement qu’elle en comprenait pleinement la portée.
_ « Et je ne demande rien de plus, ni rien de moins que ça. Faites ce que vous pouvez, et tentez de réveiller dans notre peuple la mémoire de son foyer. Attention, je ne connais pas les limites de vos pouvoirs mais comme pour vous, je veux que chacun ait le choix. Notre peuple a déjà beaucoup souffert, et je ne veux pas les plonger vers un affrontement qu’il ne souhaite pas voir. »
Le ton de Thorin ne laissait aucune équivoque sur sa réaction en cas d'action contradictoire à ses ordres. Un rugissement troubla le silence des environs. Le temps s’était détérioré et empêchait aux nains de voir à plus de quelques pas autour du camp. Le feu crépitait encore. Le voyageur s’était douté que le Forgol n’était pas seul, ces bêtes sauvages voyageaient en horde de manière générale. Ces groupes comptaient trois à quatre individus. Avec calme et une lueur assassine dans le regard, Thorin éteignit sa pipe et se leva avec souplesse et détermination ; ses armes étaient arrivées rapidement dans ses mains, comme si elles y étaient apparus par magie. Sans attendre la réaction de la naine, le roi en exil prit plusieurs morceau de bois encore enflammé et les envoya avec force dans plusieurs direction ; l’une des braises toucha l’un des félins, ses cris de douleurs retentirent dans la nuit. Cela offrit un petit moment de répit aux nains. Sur un ton rude et puissant, le guerrier se contenta de dire.
_ « Tenez-vous toujours dos au feu, et ne sortez pas de la lumière. Bien qu’enhardi par la mort de leur frère, ils n’en restent pas moins effrayés par le feu. »
Des pupilles dorées apparurent dans la pénombre, captant la lumière émise par les torches lancées précédemment. A présent, leur nombre était sûr. Trois forgol les encerclaient, et s’apprêtaient à venger leur compagnon. Le roi tenait sa hache de guerre dans une main, et son épée dans l’autre, prêt à frapper la première cible s’offrant à lui ; son bouclier était avec ses affaires à un ou deux pas de lui. La patience serait leur meilleure arme, et peut-être un peu d’aide de la part de la magie de la musicienne. C’était aux félins d’attaquer en premier, afin de minimiser les risques pour les nains. Les animaux comme les hommes mourraient de faim dans cette contrée, et le chasseur pouvait devenir proie et vice versa selon la situation. Thorin lança à Freya par-dessus son épaule.
_ « Attendez qu’ils approchent. Nous devons attendre leur attaque pour la parer au mieux, la force et le nombre est en leur faveur pour le moment. »
Le regard du roi était farouche et déterminé. Le genre d’attitude pouvant clouer un adversaire sur place avant même le premier échange de coup. Resserrant sa prise sur les manches de ses armes, Thorin fixait tour à tour les félins lui faisant face ; le dernier était face à son compagnon d’arme pour l’occasion. Ayant vu les effets de sa musique, le guerrier pensait que Freya pourrait s’occuper de l’un de ses félins toute seule ; les deux autres seraient probablement à sa charge. Non par prétention mais par expérience, le nain se sentait plus à même d’en affronter plusieurs ; c’est pour cette raison qu’il les défiait du regard à cet instant.
Entre soulagement et déception, Freya vit qu'il ne releva pas ses paroles. Qu'avait-elle espéré ? Qu'il se pâme en l'entendant ? N'importe quoi. Elle l'écouta et hocha la tête ; elle comprenait ce qu'il disait, et bien qu'il eut parfaitement fait comprendre à son ton que si elle osait forcer quiconque à le rejoindre, la sentence serait irrévocable, elle sentait qu'elle ne désirait pas forcer les gens. Elle leur rafraîchirait la mémoire ; elle ne serait que la pioche faite pour excaver les pierres. A eux de décider quoi faire des émotions et des souvenirs qu'elle ferait rejaillir.
La menace des félins autour d'eux la ramena à la réalité. Il y en avait plusieurs autour d'eux ; combien exactement ? Thorin eut une bonne idée, et lorsqu'un rugissement se fit entendre, elle put dénombrer leur compte. Ils étaient trois. Elle suivit le conseil de son roi, se leva et se mit dos au feu, non sans jeter un regard au nain près d'elle. Déterminé, farouche, il avait l'air d'un guerrier de légende, le feu formant des ombres sur son visage altier. Son regard était décidé, effrayant pour ceux qui étaient la victime de ces yeux sombres et noirs. Freya eut un frisson ; si elle ne l'avait pas aimé, elle serait tombé sous le charme de cet air guerrier, viril et puissant. Mais l'heure n'était pas aux rêveries. Son instrument dans une main et sa hache dans l'autre, elle observa les mouvements autour d'eux. Les félins tentaient de les encercler.
Thorin, devant elle, avait une attitude de guerrier. Mais surtout plutôt que de jouer les héros solitaires en lui disant de se cacher, qu'il la protégerait, il avait une attitude non pas de confiance mais de respect. Il lui donnait la place qu'elle avait, celle d'une guerrière. Il ne remettait pas en cause sa force ni sa compétence. Freya observa la bête qui venait vers elle ; les deux autres se dirigeaient vers Thorin. Mais là s'arrêtèrent ses pensées pour son roi, car la bête, dans un feulement, lança l'assaut. Du coin de l'oeil, elle vit les autres bêtes sauter elles aussi. Alors, Freya ferma les yeux et son cerveau cessa de fonctionner pour laisser son corps parler. Ce n'était pas pour rien que Dwalin lui avait appris la hache. D'un bond, elle esquiva les griffes et les crocs, et, levant son arme, elle l'abattit en fauchant une oreille. La bête était rapide, vive, et la naine avait raté son coup qui visait l'épaule. Néanmoins, le félin recula, comprenant que le gibier qu'était Freya ne serait pas aussi facilement tuable.
Gardant toujours une distance approximative avec le feu, Freya prenait garde à ne pas s'éloigner des braises et de la faible lueur. Si elle pénétrait dans le brouillard de neige, peut-être ne retrouverait-elle pas le camp. Il était donc indispensable de rester dans le cercle orangé. Elle aurait aimé aller aider son roi, mais une pensée fière et farouche lui annonça qu'il n'avait guère besoin de lui. Il saurait se débrouiller seul ; il était Thorin Ecu-de-chêne. La bête se faufila jusqu'à la naine, et quand cette dernière tenta d'esquiver le coup de patte, elle ne fut pas assez rapide. Le coup qui était sensé lui arracher la tête atteignit son épaule et elle retint difficilement un cri de douleur alors que les griffes déchiraient sa chair. Elle repoussa le membre musculeux de la bête, et regarda sa hache émoussée entailler la fourrure sans faire le moindre mal. Elle allait devoir faire autrement. Elle siffla, d'un sifflement assez aigüe pour résonner dans les oreilles des tigres ; durant ce laps de temps, elle porta de son bras valide son ocarina à ses lèvres.
Alors résonna la mélodie de la mort. Elle était concentrée sur le fauve, aussi le rythme ne devait-il pas toucher les deux autres, mais tous ceux autour du feu l'entendirent. Cette mélodie était comme une étendue plate et stérile, comme des corbeaux venu enfoncer leurs becs dans les orbites d'un cadavre. La mélodie agissait sur les nerfs, les tuant petit à petit, chaque seconde avançant sur la pente de la mort. Le félin dût réaliser que ce qui lui arrivait n'était pas naturel ; il tenta de bouger, mais ses pattes ne lui répondaient déjà plus. Freya cessa sa mélodie pour aller l'achever. Elle essaya de ne pas verser trop de sang, pour ne pas attirer d'autres prédateurs, puis se laissa tomber dans la neige, la main sur son épaule. Elle n'arrivait pas à tourner le cou pour regarder la gravité de la plaie ; idiote ! Elle se traitait de tout les noms : jamais elle n'aurait été blessée en combat normal, et il suffisait que son roi soit là pour qu'elle perde la main et se fasse griffer comme une débutante ! Dwalin se serait moqué d'elle. Son bras droit, touché, ne répondait plus et elle grimaça en sentant le sang chaud et poisseux couler sur son flanc et son dos. Une sensation de brûlure montait doucement de la plaie, lancinante comme si une braise s'y était glissée. Honteuse de ne pas avoir pensé à son roi, elle se redressa en chancelant et se tourna vers le nain pour voir où il en était.
La discussion continuait tranquillement, et Thorin prenait soin de ne donner aucun espoir à la demoiselle. Pour le moment, le roi sous la montagne devait se concentrer sur la mission à venir, et sur les besoins de son peuple ; bien qu’ils aient pu s’installer dans les Montagnes bleues grâce à lui, ils méritaient un véritable royaume à la hauteur de leur histoire, et de leur valeur. A cet instant, le nain comprenait un peu mieux l’attitude de la naine lorsqu’ils étaient à Erebor. Ce n’était pas un jeu lorsqu’elle le suivait, comme il avait cru à l’origine ni de la timidité excessive. Enfin l’ambiguïté des paroles de la musicienne était loin. Le guerrier confiait une mission à son interlocutrice, une chose qu’elle seule pouvait faire avec son don spécial. Redonner l’espoir à leur peuple, et l’envie de posséder à nouveau leur foyer et leur royaume. Les jeunes étaient bercés par les histoires de la grandeur du royaume sous la montagne, mais n’avait pas connu ce dernier. Et les vieux étaient trop aigris et commençaient à oublier les détails de leur vie dans la montagne solitaire. Les premiers avaient besoin pour les uns de croire en avenir meilleur, et ne pas se contenter de leur vie actuelle ; les seconds devaient retrouver leur esprit guerrier. Afin de compléter sa demande, Thorin précisa bien à son nouvel émissaire de ne pas forcer les gens à prendre le sentier de la guerre ; chaque nain sous la montagne devait choisir sa propre voie en son âme et conscience. Le libre arbitre était une chose importante pour le roi. Aucune décision à imposer pour le moment, encore moins pour emmener son peuple vers d’autres souffrances. C’était sa manière de penser à l’heure actuelle, mais elle changerait sûrement une fois son royaume reconquis.
Malheureusement, la conversation dut s’interrompre à cause de l’apparition de trois félins, la horde de la bête précédemment tuée. Thorin prit naturellement les choses en main, mais pas en qualité de souverain, plutôt en tant que guerrier aguerri par de nombreux affrontements. Le regard du nain était déterminé et farouche, presque autant que celui des félins faisant face aux deux nains perdus dans les Monts Brumeux. Il était hors de question que le roi sous la montagne meurt ici dans l’anonymat, Erebor devait revenir à son peuple légitime. Ce n’est pas des animaux sauvages, avec un semblant de loyauté, qui allait stopper le voyageur dans son élan. La hache prête à frapper, et l’épée au poing, le guerrier avec impatience l’attaque de ses adversaires ; il était prêt à les envoyer rejoindre leur frère. Freya avait la charge de l’un de ses fauves, et les deux autres étaient pour le roi en exil. Un défi intéressant et à sa hauteur. Cette fois point de surprise ni de chance, les adversaires étaient prêt à entrer dans ce bal mortel et s’affronter quel qu’en soit l’issu. Faisant confiance à son hôte, et ainsi lui en donner un peu, Thorin oublia directement le troisième animal et se concentra sur ses deux cibles. Les deux félins sautèrent, et profitant de sa petite taille, Thorin roula sur le côté se relevant pour asséner un coup de hache puissant sur la bête la plus proche de lui. Cette dernière percuta sa compagne, et ils roulèrent tous deux dans la neige. Le nain était déjà prêt pour l’assaut suivant. L’animal touché portait une longue blessure sur le flanc. Le combattant n’avait pas cherché à tuer, mais plutôt à déstabiliser les deux animaux. Porté probablement par la faim, ou juste étant plus sauvage qu’en apparence, les deux bêtes s’énervèrent l’une contre l’autre. Thorin profita de cet instant pour lancer sa hache dans la première bête déjà blessée ; celle-ci s’enfonça dans le flan de l’anima, et le cloua au sol.
Le second animal revint sur sa cible principale, et lui fonça dessus avec une férocité impressionnante. Thorin eut juste le temps de récupérer son célèbre bouclier en chêne pour le placer entre son torse et la gueule ouverte de l’animal. La mâchoire du fauve se trouva bloquer par le bouclier, et le nain écrasé sur le sol repoussant tant bien que mal son adversaire. Un coup de griffe sur sa joue le mit en colère, et avec un cri de rage, le roi sous la montagne repoussa la bête et lui planta son épée dans la gueule ouverte à nouveau. Il ne s’en sortait pas trop mal. Une griffe sur la joue, plus vexante que dangereuse, et des bleus sur le torse après le choc de l’animal contre le bouclier. Pestant contre ces animaux sauvages, Thorin se redressa et partit achever la première bête mise au sol. Il récupérait sa hache après avoir coupé la tête de l’animal à l’agonie, lorsque Freya se tourna vers lui. Thorin sentit le mouvement avent de le voir, et il partit immédiatement aider la demoiselle. Arrachant un lambeau des propres vêtements, le roi fit une attèle à la naine.
_ « Vous devriez garder votre bras en écharpe un ou deux jours. En tout cas, félicitations pour ce magnifique combat. »
Le roi sous la montagne nettoyait déjà la plaie de la naine, et lui fit un sourire après l’avoir félicitée. Le nain fit asseoir Freya, et lui tendit l’outre de bière pour qu’elle se remette de ses émotions. A présent, ils étaient en sécurité. Le sang des fauves répandus autour leur fournirait une bonne protection. Un animal de cette taille tué éloignerait tous les autres prédateurs. A présent, les nains auraient suffisamment à manger pour se faire des provisions suffisantes pour quelques semaines. Enfin le roi savait déjà qu’il laisserait le tout à Freya, elle aurait besoin de plus de provisions que lui. Et puis connaissant Balin, il aurait déjà prévu le nécessaire. Se redressant, et enlevant sa veste, Thorin partit chercher les carcasses inertes des félins. Bien que probablement moins doués que la naine pour le dépeçage, il s’attela à la tâche avec enthousiasme. Un combat comme celui-là le rendait toujours d’excellente humeur, et débordant d’une énergie impressionnante. Il reprit la parole tout en commençant son travail sur la première bête.
_ « Cela vous fournira suffisamment de nourriture pour plusieurs semaines. Ne bougez pas, et laissez-moi m’occuper de ça. »
Le nain se doutait que son hôte ne le laisserait pas faire. Son bras nécessitait du repos, et aucun mouvement brusque. Thorin avait déjà presque fini la première bête, mais de manière extrêmement grossière. Enfin la naine en récupèrerait suffisamment de nourriture malgré tout. Les fauves étaient énorme, bien que plutôt maigre. Des morceaux de viandes arrivaient doucement sur le feu, pour être grillé puis séché par la suite pour les voyages à venir de la musicienne. Il espérait seulement qu’elle ait assez de sel pour toute la viande. Cela faisait bien longtemps que le nain n’avait plus connu de situation comme celle-ci, probablement depuis sa dernière mission en tant qu’éclaireur dans les Montagnes Bleues.
Freya regardait son bras qui ne bougeait pas. Elle essayait de toutes ses forces de faire bouger les doigts, un muscle, quelque chose. Si elle perdait l'usage d'un de ses bras, son avenir de barde était quasiment fichu. Elle se concentra, et enfin l'un de ses doigts bougea, répandant une douleur fulgurante quoique rassurante dans sa chair. Elle inspira enfin, rassurée. Cette blessure cicatriserait avec le temps. La compassion de son roi la vexa légèrement, mais elle le regarda bander sa blessure grossièrement. Elle eut un mince sourire.
« J'aurais pu esquiver l'attaque. J'ai été étourdie. Je suis navrée de vous donner un tel spectacle. Je vais faire fondre de la neige et chauffer de l'eau. Peut-être ai-je oublié de mentionner que je suis en quelque sorte guérisseuse ? »
Et elle haussa les épaules, grimaça quand elle sentit de nouveau la blessure la tirailler. Aucun muscle n'avait cependant été touché, ni nerf, juste la chair. Elle laissa cependant le roi nettoyer sa plaie ; elle repoussa les émotions qui auraient pu naître en elle. Elle devait arrêter avec cela ; c'était stupide. Il était de sang royal, il devait bien avoir une fiancée quelque part. La barde coupa ses sentiments, comme on coupe une corde, et but une gorgée de bière tandis que de sa main valide, elle choisissait avec précaution les herbes pour faire un emplâtre. Quand le nain partit récupérer les carcasses, Freya avait déjà mis les herbes à infuser, et une odeur douceâtre d'épices flottait dans l'air. Enfin, elle se tourna - une pulsion pudique, peut-être - et arracha avec un brin de tristesse les lambeaux de sa tunique, dévoilant son épaule et sa blessure. Ce n'était pas aussi moche qu'elle l'avait imaginé ; bien que Thorin lui dise qu'il allait s'en occuper, elle se jugeait assez grande pour panser ses propres blessures. De plus, sa fierté lui interdisait qu'un autre prenne soin d'elle alors qu'elle avait été assez idiote pour se faire blesser. Néanmoins, elle aurait besoin d'aide pour éponger le sang qui avait coulé. Prenant un chiffon imbibé de neige fondue, elle essaya de retirer la matière poisseuse de son dos. Elle y frotta les herbes rendues molles par l'eau chaudes, et une douleur mêlée de soulagement la prit quand l'effet de la chaleur la détendit, tout en sentant les essences pénétrer sa chair directement dans la blessure. Mais elle atteignait un point qu'elle ne pouvait atteindre, et elle lança un regard en coin à son roi qui continuait à amasser de la viande.
« Nous partagerons équitablement. Je n'ai pas spécialement besoin de vivres ; mon chant me fait gagner mes repas et mes provisions. Vous risquez d'en avoir plus besoin que moi. Puis-je vous demander votre aide pour ... Pour poser cet emplâtre ? Je .. Je ne peux pas le poser là ... »
Elle essayait d'indiquer son dos mais les mouvements de son épaule tirait sur l'autre et elle grimaça, retenant son souffle sous la douleur. Elle inspira et ferma les yeux. Elle ne voulait pas imaginer que c'était Thorin qui allait la toucher. Elle regarda avec dureté le feu, comme si il était la cause de tous ses malheurs. Son front était couvert de sueur, et elle l'essuya d'un revers de main.
« Si il me voyait, Dwalin aurait le temps de rire » grogna t-elle à voix haute.
Il lui avait tout appris, et si il avait vu qu'elle s'était fait griffer par un gros chat - elle était certaine que son vieil ami aurait appelé ces félins immenses des gros chats - il se serait moqué d'elle en la traitant de gamine. Elle sourit en imaginant son vieil ami et ferma les yeux, un instant mélancolique. Il lui manquait, tout comme ses amis, sa famille. Elle voulait revoir les siens. Passant à autre chose, quelque chose de plus gai, elle remarqua la joie de son roi. Il semblait heureux ; il était vrai que son tempérament était celui d'un guerrier, et un bon combat lui redonnait toujours la joie. Elle eut un léger sourire, puis secoua la tête. C'était une tête de mule, mais il n'était pas mauvais, loin de là. Il n'était juste pas pour elle ; elle n'était pas son égale, et loin de là. Elle essayait d'arrêter de penser, essayait d'arrêter ce flot d'émotions, mais c'était plus simple à dire qu'à faire, même pour elle qui se voyait comme un instrument. Sa proximité réveillait des choses qu'elle avait cru ensevelie, et elle s'en voulut d'être ainsi. Essayant de se reprendre, elle demanda :
« Souhaitez-vous que je chante, mon roi ? Pour vous divertir ? »
C'était ce qu'elle avait à offrir. Elle pouvait lui offrir bien plus, mais il n'aurait pas accepté. Se tenant de guingois sur son rocher, elle regardait le feu fixement, observant les ombres alentours, la neige tombant et grésillant dans les flammes.
Les fauves n’avaient pas survécu très longtemps. Freya avait éliminé le sien, au prix d’une blessure sur l’épaule plutôt handicapante ; Thorin lui s’en sortait avec quelques griffes superficielles sur le visage. Le nain avait eu de la chance, et avait profité de la férocité des bêtes pour l’utiliser à son avantage. Il prit soin d’aider son hôte à penser ses blessures de manière sommaire, et la fit asseoir afin qu’elle se repose un peu. Malgré ce petit incident, elle avait bien combattu de son point de vue. Même si l’intéressée ne semblait pas du même avis que lui à présent. Lorsqu’elle lui apprit qu’elle était un peu guérisseuse, le roi en exil la laissa seule et s’attela à une tâche plus terre à terre, découper et récupérer la viande des animaux morts. Une activité que ne maîtrisait que très peu le nain, et pourtant, il était le seul à pouvoir le faire pour le moment. Pendant que la musicienne infusait des herbes, et préparait une mixture pour l’aider à guérir et à apaiser la douleur ; le voyageur s’occupait d’enlever les peaux, et de préparer des morceaux de viande. Pendant ce temps, il reprit la parole pour signifier à la naine qu’elle emporterait toute la nourriture. La réponse de la naine l’amusa, mais elle n’aurait pas le choix de toute manière. C’était décidé. Sans veste, et luisant sous la chaleur du feu ravivé, Thorin déposait des morceaux prédécoupés afin de les faire grillé avant de les saler. De la viande séchée était les provisions les plus pratiques pour un voyageur. Facile à conserver, et facile à manger. Pas besoin de feu, et donc la discrétion était assuré. Cela ne pouvait malgré tout suffire, mais elle permettait de passer des moments difficiles l’estomac plein.
Essuyant ses mains sur la peau d’animaux à proximité de lui, Thorin finit par les trempées dans la neige avant de les essuyer soigneusement. S’approchant de Freya, il prit l’emplâtre et dans un silence religieux, il le déposa dans les zones encore visibles de la blessure. Contrairement à son caractère bourru et rude, le nain agit avec précaution et douceur, afin de minimiser l’impact de l’application sur la victime. A l’odeur et à la texture, le roi en exil put constater les talents de la naine ; bien que n’égalant pas les plus grands guérisseurs, ses connaissances seraient suffisantes pour cette blessure. En entendant le nom de Dwalin, Thorin ne put retenir un éclat de rire. Le nain était un excellent guerrier, mais un piètre diplomate, encore pire que lui. Son franc parler plaisait au roi sous la montagne, mais n’était pas forcément du goût de tout le monde. Et surtout, il était prompt à juger et réprimander des personnes pour des erreurs qu’il avait aussi commises en son temps. Cela continua de maintenir la bonne humeur du voyageur, et il se permit de répondre tout simplement en s’écartant de Freya, et frictionna sa joue avec le reste de l’emplâtre.
_ « Ce bon vieux Dwalin. Certes, il vous asticoterait un moment mais reconnaîtrait aussi votre valeur. Et puis il n’est pas non plus le dernier pour se faire blesser par inadvertance. J’ai connu des situations, ou seule la chance lui a permis de se sortir de ses rêveries sans trop de dégâts. »
Dwalin faisait parti des rares nains avec Balin aux côtés duquel Thorin s’était battu et avait survécu à des affrontements terribles. Le dernier en date remontait à la tentative ratée de reprise de la Moria par son grand-père. Ce souvenir s’effaça très rapidement, surtout motivé par l’envie de l’intéressé de ne pas se complaindre dans la perte de tant de valeureux nains. Cette bataille avait été un coup dur pour les nains exilés d’Erebor, minant leur force et leur coûtant tant que plus personnes n’évoquait cette guerre contre les orques, sans avoir une pointe de tristesse dans la voix. Une fois sorti de sa mémoire, le nain se remit à l’ouvrage sur les deux bêtes restantes ; les restes de la première feraient un excellent repas pour les charognards de la région, un festin de roi pour ces animaux. Regardant par-dessus son épaule, en arrachant les derniers vestiges de peaux, Thorin sourit et lança à Freya.
_ « Reposez-vous surtout pour le moment. Vous avez un long chemin qui vous attend, et une mission de la plus haute importance. »
Le nain s’essuya la sueur de son front, et son humeur était toujours excellente. Ses gestes se firent de plus en plus assurés. Près d’une heure après avoir commencé, les bêtes étaient dépecées et la viande grillé tranquillement sur le feu. Le nain y jetait de temps en temps un peu de sel pour les assécher plus rapidement. Un condiment emprunté à son hôte. Lorsque la viande serait prête, ils s’endormiraient tous les deux. Et Thorin aurait déjà repris sa route au réveil de la musicienne, lui laissant toute la viande à disposition. Bien que cette halte fût appréciable, le roi en exil était attendu ailleurs. Le voyageur avait encore une longue route avant d’atteindre sa destination finale. Nettoyé, et recouvert de son manteau à nouveau, il s’était remis à fumer sa pipe avec sérénité en regardant la viande noircir légèrement et se durcir. Son regard se posa sur Freya.
_ « Comment vous sentez-vous à présent ? Cela vous fait-il moins souffrir ? » Marquant une pause pour entendre la réponse, il finit par reprendre sur un ton très solennel à nouveau. « Bien je compte vraiment sur vous pour que notre peuple se tienne près. Ne parlez pas du but final de cette préparation, des espions peuvent se dissimuler partout. Je préfèrerais qu’on continue de croire que je prépare quelque chose, plutôt qu’on sache que je suis déjà en route pour Erebor. »
Soufflant longuement la fumer retenu dans sa gorge, Thorin l’observa s’envoler vers le ciel avec une lenteur impressionnante malgré le vent soufflant tout autour d’eux. Leur camp était à l’abri, et le feu les réchauffait suffisamment pour le moment. Tout se mettait en place, et le nain voyait dans cette rencontre un signe de réussite.
Thorin s'occupait de la viande ; il salait celle qui ne pouvait pas encore être cuite, pendant que de gros morceaux avaient été installés sur une broche pour être fumé et empaquetés plus tard. Freya aurait aimé l'aider, mais il fallait aussi avouer que regarder travailler son roi, luisant de sueur sous les flammes du feu, était extrêmement agréable pour elle. Elle essayait tant bien que mal de ne pas regarder, mais c'était plus fort qu'elle. Il dépeça aussi les fourrures, et Freya tenta de lui donner quelques conseils ; couper les nerfs à ras de la peau, la frotter ensuite pour faire partir les dernières particules de chair ... Sa demande d'aide lui avait semblé un peu impromptue, mais le roi accepta. Enduisant ses doigts de l'emplâtre vert et odorant, il le passa sur le reste de sa blessure. La mixture pénétra tout de suite dans la chair, picotant mais aspirant les débuts d'infection et aidant à cicatriser. C'était gras et assez désagréable, mais d'ici demain, la blessure serait déjà en voie de guérison. Freya essaya de faire fi de la sensation douce des doigts de Thorin ; elle l'avait cru bourru dans ses gestes, peut-être même incapable de se montrer doux, mais il lui montrait le contraire. La chair de poule la couvrit, et elle reprit son souffle quand il s'éloigna, étalant le reste d'emplâtre sur une griffe à sa joue, blessure sans gravité.
Apparemment, sa réflexion sur Dwalin fit rire le roi. Freya eut un sourire surpris, contente néanmoins de l'entendre rire. C'était un rire communicatif, un peu surprenant, grave, mais c'était un son agréable. Un son joyeux.
« C'est vrai qu'il n'est pas le dernier a faire des erreurs. C'est lui qui m'a instruite à la hache, quand j'étais petite. Nous buvions de la bière ensemble, et il disait que ça me forgeait le caractère. Et même si il essayait de ne pas le montrer, il adorait mes contes, alors dès que je pouvais, je lui narrais des aventures. »
Mélancolie. Son vieil ami lui manquait. Il était à présent sa seule famille qui lui restait ; ils n'avaient pas de lien de sang, mais Dwalin était comme un père pour elle. Il l'avait un peu élevée, à sa manière, et à présent qu'elle n'avait plus de parents, il était son dernier vestige d'être familial. Elle eut un sourire amusé en imaginant le nain bourru, et secoua la tête en riant tout bas.
Sa proposition fut rejetée, et Freya hoche la tête ; elle avait envie de se gratter l'épaule mais se retenait de bouger. Elle observa Thorin, ayant remis son manteau et sa tunique, assis en face d'elle en train de fumer. Sa propre pipe était déjà finie, et elle regarda le feu, pensive. Cette mission était importante, oui, c'était vrai ; elle n'avait pas à se sentir flouée qu'il ait rejetée sa candidature dans la compagnie. Mais savoir qu'à présent qu'elle l'avait retrouvé, elle ne le reverrait pas avant peut-être des mois ... Sa voix inquiète la ramena à la réalité.
« Oui, je me sens mieux. Merci. » souffla t-elle.
Pourquoi était-ce si dur ? Elle ne l'avait pas revu depuis des années, elle pouvait bien faire en sorte de rester éloignée de lui pendant plusieurs mois. C'était sûrement ce qu'il y avait de mieux ; un peu de temps loin de lui permettrait de faire le point. De l'oublier ; du moins d'oublier ses sentiments qui n'étaient pas du tout appropriés.
« Mon roi, une fois que j'aurais averti les nains qui le désirent de se tenir prêt à combattre pour l'Erebor, pour la défendre lorsqu'elle sera reprise - sans parler de votre quête afin que cela reste discret - que devrais-je faire ? Comment les prévenir quand il sera bon de vous rejoindre chez nous ? Comment saurais-je, moi, que je dois les ramener à vous ? »
Ces questions la taraudaient depuis quelques minutes, et les paroles de son roi lui avaient permis de les faire sortir. Il était vrai qu'ils allaient devoir rester en contact, du moins pour que la barde puisse le tenir au courant de son avancée. Des messages codés ? Peut-être. Elle songea aussi à des oiseaux messagers. Mais là n'était pas la plus importante des questions : comment allait-elle savoir qu'il était temps d'amener les nains chez eux, qu'Erebor était reprise ? Elle s'inquiétait pour la compagnie qui allait s'en aller ; elle ne voulait pas que son roi et plusieurs nains puissent succomber ; et pourtant, une partie d'elle était farouchement déterminée à y voir une réussite future. Ils ne pouvaient pas échouer, pas avec Thorin à leur tête.
Thorin découpait les bêtes, et récupérait tout ce qui pouvait l’être sur la carcasse des félins. Freya lui glissa quelques conseils, qui améliorèrent son efficacité et surtout la qualité de son travail. C’était un guerrier, et non un travailleur manuel. Les années d’exil lui avait fait oublié ce genre de chose, même si ce n’était pas ce à quoi on le destinait à l’origine. Mais pour tromper l’ennui, le jeune prince nain avait appris à tailler la pierre ou dépecer des bêtes et y consacrer presque autant de temps qu’à l’apprentissage du combat et de la guerre. Son oncle Balin était son professeur à l’époque, et encore aujourd’hui, le vieux nain regorgeait de bon conseil. Enfin ce n’était pas son oncle à proprement parler, mais il le considérait de cette manière depuis son plus jeune âge bien que n’utilisant ce terme qu’intérieurement. Le nain ne quitta sa besogne que pour aider la musicienne à appliquer l’emplâtre pour guérir ses blessures, en utilisant une partie sur sa propre griffure. Dwalin arriva inopinément dans la conversation. Et un rire grave et sincère suivit la réaction de Freya. Le roi en exil se permit même de taquiner un peu son compagnon en son absence, avec Balin, ils formaient un étrange duo plutôt dangereux. Le voyageur se remit au travail tout en écoutant le lien unissant la naine et le vieux guerrier. En y pensant, Dwalin avait formé et formait encore de nombreux nains au maniement de la hache ; on ne pouvait rêver meilleur maître que lui, c’était une personne dure et consciencieuse dans son apprentissage des arts du combat. Cela n’étonna guère le roi en exil d’entendre son vieil ami accro aux contes, c’était un excellent public et un conteur lui-même, bien que plus porté sur l’exagération que le factuel.
La proposition d’aide de la naine fut repoussée très gentiment, surtout pour son bien et sa guérison. Thorin termina sa besogne, et fut satisfait du résultat moins pitoyable que prévu. Revenu à sa place de départ, en surveillant la viande de près, le nain termina sa pipe et resta silencieux pendant quelques temps. Il finit par s’enquérir de la santé de son hôte, et satisfait de la réponse, il insista à nouveau sur l’importance de la mission qu’il lui confiait. Savourant ce moment de plénitude, et de satisfaction devant la tâche accomplie et celle à venir, il n’en resta pas moins attentif aux paroles de la musicienne. Sa question était légitime, mais elle lui soutira malgré tout un sourire amusé et sincère. Un détail important à ses yeux, et pourtant si insignifiant aux yeux du nain. Ce dernier ne doutait pas que les Terres du Milieu apprendraient immédiatement la reprise d’Erebor sans que le roi en exil n’ait besoin de prévenir tout le monde. De cela, il en était certain. Des espions commençaient déjà à se mêler au nain, comme cet homme étrange. Ce voleur. Aodhán. Thorin n’avait aucune preuve de ses agissements, mais il était sûr de la culpabilité de cet homme dans le meurtre d’un nain. Il le gardait à l’œil, et frapperait sans aucune hésitation le moment venu, ou lorsqu’il aurait assez de preuve pour le faire sans craindre de représailles de la part du Gondor, ou d’un quelconque royaume humain. Laissant échapper un nouvel halo de fumée, il reprit la parole sur un ton très calme malgré la gravité de ses paroles.
_ « Oh ne vous inquiétez pas pour ce détail. Je pense qu’à la minute même où nous reprendrons Erebor, les Terres du Milieu en seront informées et les armées de toutes les contrées marcheront vers nos terres pour tenter d’obtenir une part du butin. Mon grand-père avait amassé une immense fortune, par pure cupidité, je vous l’accorde. »
En effet, sur ces derniers temps en tant que roi sous la montagne, Thrór avait totalement perdu la raison et n’était plus motivé que par l’or et l’accumulation de richesse. Les nains avaient assisté à cette déchéance, et beaucoup le rendait responsable de la venue du dragon. Et pourtant aucune preuve ne pouvait être fournie pour confirmer ou infirmer cette supposition. Enfin le passé était le passé, et nous n’y pouvons rien pour le changer. Thorin devait avancer, et préserver son peuple de son mieux. Bien qu’ayant aimé son aïeul, il espérait devenir et rester un meilleur souverain. Bien qu’ayant perdu toute mesure, et une partie de sa raison, les nains sous la montagne n’avaient pas mérité leur sort actuel. Terminant totalement sa pipe, le voyageur la tapota sur son siège improvisé pour la vider de toute l’herbe brûlée et la rangea dans son sac. Il reprit alors la parole à l’attention de Freya.
_ « A ce moment-là, je pense que notre peuple comprendra son devoir, et pourquoi j’ai besoin de lui. Car j’aurais besoin de renfort, n’en doutons pas. Peut-être cela nous permettra-t-il de nous venger des personnes nous ayant abandonné à notre sort ? » Il marqua une pause, et continua. « Pour conclure, tout viendra en temps et en heure. Et chacun sera alors ce qu’il a à faire. Vous comme moi, ainsi que notre peuple. »
C’était un détail important de son plan, et une variable inconnue. Combien arriverait-il à recruter d’homme, enfin plutôt combien la musicienne réussirait-elle à convaincre. Le nain ne doutait pas qu’il aurait cependant besoin de l’aide des autres nains, et c’est pour cette raison qu’il les rencontrait afin de quémander leur aide dans cette aventure. Ce n’était pas aisé de les convaincre, et la cupidité des nains s’avéraient encore une fois vraie dans ces circonstances. Mais à choisir, il valait mieux offrir une partie à des cousins et des frères que des étrangers issus d’autres peuples.
Freya se demandait ce qu'avait fait son roi pendant toutes ces années. Beaucoup de nains avaient du trouver du travail, en tant mineur, ou comme elle-même à conter et à garder des enfants. Elle avait appris de tout cela que les petits de chaque race étaient délivrés des préjugés des adultes. Elle avait appris à apprécier les petit d'hommes. Mais son roi, avait-il été mineur, maréchal-ferrant ? Peu importe ce qu'il avait été, mais ses gestes étaient à la fois ceux d'un guerrier et d'un travailleur manuel.
Les paroles de son roi, répondant à ses inquiétudes, firent naître un sourire mi-figue mi-raisin sur le visage de la naine. Il n'avait pas tout à fait tord ; combien de gens devaient guetter les nains ? Combien n'attendaient qu'une chose, de les voir reprendre cette cité au dragon pour pouvoir les combattre ensuite ? Beaucoup devaient imaginer Smaug mort, après toutes ces années, mais aucun n'avait essayé de retrouver le trésor. Ils préféraient, lâche comme ils sont, laisser Thorin reprendre la place. Si il ne revenait pas, cela voudrait dire que Smaug n'était pas mort, et tous attendront encore que d'autres essayent. Mais si Thorin réussissait à reprendre Erebor, cela se saurait. Freya hocha doucement la tête ; elle avait peur cependant que la rumeur ne soit pas assez rapide pour l'atteindre, qu'elle et ceux qu'elle aurait convaincu n'arrivent trop tard.
La fortune d'Erebor était grande ; des tas d'or aussi grands que des montagnes, des pierres précieuses capables de faire paraître le soleil éteint à côté de leur luminosité flamboyante. Oui, la fortune du roi sous la montagne était colossale ; mais n'était-ce pas ce qui avait attiré le dragon ? Personne n'en était sûr, mais le doute était là. Freya se doutait que Thorin ne voulait pas juste revoir ce tas d'or, ou reprendre Erebor pour s'y mettre à sa tête. Même si c'était son devoir, il y allait pour être le leader d'une race, pour aider les nains. Ses intentions étaient pures, mais combien de fois avait-elle entendu que la folie était de famille, que la folie courrait dans les veines des rois d'Erebor ? Elle n'y croyait pas. Mais beaucoup de nains jugeaient fous cette entreprise, en se disant que, quand bien même ils arriveraient un jour à retourner à Erebor sains et saufs, le roi ne serait pas mieux que son grand-père. Ils se trompaient lourdement ; Thorin n'était pas ainsi. Il n'était pas avide, cupide, d'autre chose que d'aider son peuple.
Thorin finit sa pipe et la rangea ; Freya retourna l'énorme quartier de viande qui grillait au-dessus du feu. L'odeur de graisse cuite était appétissante, malgré le fait qu'elle ai mangé il y avait peu. Elle gratta un nerf encore attaché, et, pensive, répondit à son roi.
« Lorsque vous aurez besoin de moi, je serais prête. Et ceux que je convaincrais avec moi. Comptez-sur moi pour leur redonner espoir, confiance, et loyauté. »
Ce qu'elle ne disait pas, c'est qu'elle allait non seulement devoir les convaincre que l'entreprise de reprise d'Erebor n'était pas une folie, et que se battre pour la garder était tout à fait faisable, mais que leur roi n'était pas un futur fou avide de pouvoir et d'argent, capable de faire tomber la cité à nouveau. Elle eut un sourire ; elle croyait en son roi. Sa musique et ses paroles feraient le reste. « Je sais que ce sont de futiles paroles, mais j'ai besoin de les dire. Faites attention, mon prince. Je sais que vous y arriverez. Je crois en vous plus qu'en personne d'autre. »
Elle connaissait aussi le côté guerrier du roi, mais aussi son sens de la protection d'autrui. Il était prêt à sacrifier sa vie pour sauver un nain. Cela était louable, mais leur race avait besoin d'un roi vivant. Elle lui jeta un coup d'oeil et haussa les épaules ; mal lui en prit, elle grimaça et stabilisa son bras sur sa cuisse, laissant le produit s'infiltrer plus profondément dans la plaie, piquant la chair à vif. Thorin avait l'air un peu ridicule avec son emplâtre verdâtre sur la joue, mais ses yeux dissuadaient quiconque de se moquer de lui. Ses yeux brillants, fiers, guerriers. Freya aurait aimé lui dire combien son peuple doutait, mais sa franchise aurait blessé son roi, et même si il aurait peut-être refusé de le dire, cela aurait pu le faire douter. Alors, elle garda cela pour elle. Ce petit fardeau là était pour elle ; il en avait déjà bien assez comme ça. Elle détestait mentir - en tant que barde, elle avait appris que chaque vérité se devait d'être dite, qu'il y avait plusieurs moyens de l'exprimer - mais parfois, cela était nécessaire. Et puis, ce n'était pas exactement un mensonge, plutôt le fait de cacher la vérité. La culpabilité l'envahit, mais elle y résista.
La discussion reprenait normalement entre les deux nains, comme si l’attaque n’avait jamais eu lieu. C’était une chose qu’on apprenait sur les routes, accepter l’imprévu et le considérer comme la normalité. Thorin avait vu trop de choses, et parcouru de trop nombreuses contrées pour se montrer surpris d’une attaque, et d’une victoire, ou s’extasier devant une si belle prise. Il avait été forgeron, chasseur puis éclaireur afin d’apprendre beaucoup de choses différentes, parfaire ses compétences et surtout gagner de l’argent. Le roi en exil devait pourvoir aux besoins de nombreuses personnes. La question de la quête de la musicienne fut complètement réglée, et les détails résolus rapidement. La plus grande inquiétude de Freya était de ne pas recevoir le signal du départ à temps. Le voyageur était conscient, que quelle que soit la rapidité des nains, la compagnie aurait à lutter contre des ennemis très rapidement ; des peuples étaient encore très proches de la Montagne solitaire, et en surveiller probablement les frontières. Celui dont Thorin se méfiait le plus, et souhaitait en même temps son apparition, c’était Thranduil. Ce lâche qui avait refusé son aide aux nains. Les fuyards ne demandaient pas une aide militaire dans un premier temps, mais un peu de compassion et de sollicitude de la part de voisins. Son grand-père Thrór n’avait pas été très diplomate dans ces derniers jours de roi sous la montagne, l’or l’avait rendu totalement fou mais il restait le roi malgré tout. Un fait que beaucoup craignait de voir apparaître chez son descendant, son petit-fils devenu roi par hasard finalement.
Serein et détendu, Thorin se délectait de l’odeur de fumée encore présente. Cette aventure ne le terrifiait pas, ni ne l’inquiéter. Elle était décidée, et avait démarré à présent. Nul besoin de prévoir le pire pour le moment. L’improvisation serait probablement de mise dans cette quête, et les nains étaient à présent doués pour ce genre de chose. Ce qui effrayait le roi en exil, c’était de tomber dans la même folie que son grand-père. Dís rassurait constamment son frère sur cet état, et il comptait sur elle et sur ses neveux pour le prévaloir de cette déchéance. La viande grillée tranquillement sur le feu, et Freya aidait le guerrier à retourner quelques morceaux afin de les sécher et les préparer pour servir de provisions. Les paroles de la naine soutirèrent un sourire au guerrier. Il ne doutait pas de cela venant de la part de son interlocutrice, et restait persuadé que sa mission serait couronnée de succès, et dépasserait de loin ses attentes plutôt faibles pour le moment. Afin de clarifier les derniers points en suspens, comme il l’avait fait pour d’autres en préparant cette aventure, le roi reprit la parole de manière détachée et totalement calme.
_ « Et comme tous vous espérez que la folie de mon grand-père ne me gagnera pas une fois Erebor retrouvée, et toutes ses richesses en ma possession. » Nul réprimande ni animosité dans sa voix. Juste la simple explication d’un fait connu de tous, Thorin sourit afin de montrer qu’il n’attendait aucune réponse de la part de la naine. La nuit s’allongea doucement, et la viande finit par être cuite. Un silence s’imposa, précédent le repos des deux voyageurs. Se mettant un peu plus à l’aise, le roi en exil se replia dans son manteau et se laissa attraper par le sommeil. Avant de sombrer totalement, il lança à l’attention de Freya.
_ « Une douce nuit madame. Reposez-vous car une longue route nous attend tous deux. »
En effet, Thorin n’avait pas l’intention de prolonger son sommeil inutilement. A son réveil, Freya trouverait la viande dans ses affaires, et la place du guerrier totalement vide. Le nain préférait partir de cette manière, et surtout il était à présent en retard pour sa réunion. Elle savait ce qu’elle avait à faire, et n’avait besoin d’aucune indication supplémentaire.
C'était comme si il avait lu dans ses pensées. Cela effraya un instant Freya, puis elle comprit que celui lui trottait dans la tête, à lui aussi. Il devait être inquiet à ce sujet ; qui ne l'aurait pas été ? La naine lui jeta un regard, les joues rosies mais les yeux déterminés.
« Non. Il est vrai que notre peuple peut y penser avec doute, mais moi pas. Je sais que, même si cette folie peut s'en prendre aux meilleurs d'entre nous, vous n'y céderez pas. Votre volonté est plus grande que cela. Vous réussirez. »
Freya avait parfaitement compris qu'il ne la disputait pas sur ce sujet ; elle était heureuse qu'il ne l'eut pas réprimandée. Et elle se sentait mieux d'avoir dit ce qu'elle avait sur le coeur. Reposant une dernière bûche dans le feu, elle se réchauffa les mains puis prépara son lit de camp ; étalant des branches mortes sur le sol dégelé près du feu, elle y reposa une couverture de cuir, puis ses fourrures. Cela ne serait pas aussi confortable qu'un lit normal, mais les nains n'aiment pas le confort luxueux et inutile. Freya préférait dormir ainsi, sous les étoiles, avec un feu pour seul chauffage, que dans des auberges sentant l'urine et la sueur. Elle soupira, puis observa son roi un dernier moment. Il était dans son manteau, et il n'aurait pas froid. Mais elle alla poser une fourrure près de lui ; qu'il la prenne ou non lui importait peu. Elle alla se coucher, resta un bon moment à regarder le ciel sombre, enfin dévoilé, la neige s'étant arrêtée de tomber. D'ici demain, le temps serait réchauffé, et il ferait presque bon tant que la neige ne serait pas transformée en gadoue. La naine inspira un moment, nerveuse, puis s'endormit. La présence de Thorin, le combat contre les Forgols, sa blessure à l'épaule, tout cela l'avait épuisé plus qu'elle n'y songeait.
Lorsqu'elle se réveilla, elle était seule. Une pointe d'amertume la serra, puis elle rangea ses affaires et découpa la viande que Thorin lui avait laissé. Elle repoussa ses émotions. Elle avait une mission ; rien ne devait se mettre en travers de sa route. Elle repartit à l'aube alors que le soleil se couchait, laissant derrière elle un tas d'os, un cercle de terre battue et des restes de feu.