Distant memories {ft. Níniel}

Il lui semblait parfois que toutes les auberges se ressemblaient. Lorsque venait la nuit et qu'il était l'heure d'allumer lanternes et chandelles, les hommes venaient s'accouder au comptoir et les voyageurs se massaient autour des tables, attroupements bruyants trinquant au son des chopes s'entrechoquant, échangeant récits et plaisanteries graveleuses autour d'une bière. Il était encore trop tôt pour que l'animation atteigne des sommets mais cela ne saurait tarder. L'endroit était minuscule, à peine une salle de terre battue, éclairée faiblement. L'aubergiste derrière son comptoir essuyait des chopes en surveillant du coin de l'oeil les clients venus envahir son établissement. Envahir était le mot, il pleuvait des cordes ce soir là et tout un chacun cherchait désespérément la protection d'un toit afin d'échapper à la colère des éléments et nombres de voyageurs étaient obligés de se défaire de leurs lourdes capes trempées de pluie dès l'entrée.

Dans un claquement qui l'arracha à sa contemplation, la petite serveuse déposa devant elle une assiette fumante et un gobelet. D'un signe de tête, Indira la remercia, ne pouvant retenir un coup d'oeil vers elle, se rappelant sans pouvoir s'en empêcher toutes les fois où elle s'était trouvée à sa place dans sa jeunesse. De sa table, bien à l'écart des autres, la voyageuse observait la salle d'un air sceptique. Elle aurait largement préféré s'éloigner de ce genre de lieux fréquentés mais la pluie ne lui avait pas laissé le choix. Elle était trempée jusqu'aux os, transie de froid et la perspective d'une autre nuit à affronter des trombes d'eau ne l'enchantait guère. Aussi, profitant de l'anonymat relativement sûr de cette petite bourgade du fin fond du Rohan, elle s'était arrêtée pour la soirée. Le village était minuscule, à peine une dizaine de maisons attroupées autour d'une place envahie par la boue. Et surtout, avantage non négligeable, on se trouvait à des jours de voyage d'Edoras. La brune s'était appliquée à éviter la capitale, de peur de croiser quelques visages suspects partis à sa recherche. Était-elle démasquée? Son secret était-il éventé? Mais impossible de savoir, comment reconnaître un ennemi du citoyen lambda? Ils ne portaient certainement pas de signe distinctif signalant leur appartenance. Deux hommes avaient attiré son attention depuis qu'ils étaient entrés. Penchés au dessus de leurs chopes, feignant de discuter à voix basse, elle aurait juré qu'ils jetaient vers elle des regards intrigués. Mais l'éclaireuse n'était sûre de rien. Etaient-ils à sa recherche? Ou alors s'étonnaient-ils tout bêtement de ce qu'une jeune femme voyageât seule par des temps pareils. Impossible à dire, aussi redoublait-elle de prudence, affectant l'air de n'être point troublée ni inquiète. Sortir maintenant c'était gagner l'assurance de paraître suspecte alors qu'on venait tout juste de déposer une assiette devant elle. Elle n'avait d'autre choix que de rester, ce qui ne l'empêchait pas de se montrer méfiante.

Depuis sa fuite effrénée de Minas Tirith, la suspicion était allée croissante en elle et la brune avait sentir grandir se sentiment d'insécurité et de méfiance. Elle se sentait épiée, surveillée. A chaque coin de rue, chaque table, chaque échoppe. Aussi évitait-elle les hameaux trop fréquentés autant que possible. Mais il était des soir où la nécessité supplantait tout le reste. Son regard accrocha celui d'une jeune femme un peu plus loin, brune, plutôt jeune. Celle ci la regardait avec un peu trop d'attention et Indira senti que l'inquiétude montait d'un cran. Peut être était-ce elle qu'ils avaient envoyée à sa poursuite? Venait-elle réclamer des comptes et pire encore? Et déjà la demoiselle se levait et l'éclaireuse masqua sa surprise en voyant qu'elle semblait se diriger vers elle. Sa main se crispant sur sa cuiller, elle attendit, le coeur battant. Si elle était ce qu'elle soupçonnait, elle ne pourrait pas grand chose au sein de cette auberge bondée, la brune se demandait même le pourquoi de cette approche. Obnubilée qu'elle était par la crainte d'être retrouvée, elle ne pouvait imaginer d'autres hypothèse acceptable. Mais déterminée à échapper à ce groupe étrange, elle ne se laisserait certainement pas emmener sans opposer de résistance.

A première vue, la jeune femme ne différait pas des autres voyageurs que l'on pouvait croiser dans l'auberge. Des vêtements de voyage trempés que l'on avait mis à sécher près du feu, des traits tirés par la longue route et les conditions climatiques, Indira elle même ne devait pas avoir une expression bien différente si ça n'était la méfiance qui était probablement en train d'envahir ses traits. Elle avait beau y réfléchir, elle ne parvenait pas à se rappeler de ce visage. La connaissait-elle? Si c'était le cas, cela datait d'il y a longtemps car elle n'avait pas souvenir de l'avoir vue récemment. Et elle avait croisé tellement de visages différents au cours de sa vie que parfois les traits se brouillaient dans sa mémoire et elle éprouvait du mal à démêler les souvenirs. Mais la brunette ne lui laissa pas le temps d'avancer plus dans sa réflexion et venait déjà à sa rencontre. Indira se tendit très légèrement. Qui qu'elle soit, elle n'allait pas tarder à le savoir. Et en guise de salutation, la question qu'elle lui posa sembla éveiller de très vieux souvenirs en elle. Dol Amroth? Voilà une partie de sa vie sur laquelle elle pensait ne plus revenir, elle avait fuit la cité plus de sept ans en arrière, bien décidée à ne plus y remettre les pieds et voilà que l'histoire venait se rappeler à elle au moment où elle s'y attendait le moins. Et tout lui revint doucement en mémoire à mesure qu'elle observait la demoiselle avec plus d'attention. Ainsi c'était-elle? Un petit sourire lointain vint se dessiner sur ses lèvres alors qu'elle s'apprêtait à répondre.

- Je dois avouer que jusqu'à ce que vous m'abordiez j'ai eut bien du mal à me rappeler de vous, admit-elle, mais pour ma défense, vous avez bien changé depuis.

Elle lui indiqua le siège face à elle d'un signe de tête. Oh oui, elle avait changé. Elle n'était qu'une adolescente à l'époque où elles s'étaient connues. Issue de la noblesse, douce et posée, elles n'avaient rien en commun ce qui ne l'avaient pas empêchée de s'en faire une amie. Jusqu'à quel degré c'était difficile à dire mais elles s'étaient revues à chacun de ses visites dans la cité. Et puis tout avait changé, un jour Indira était partie pour ne plus jamais revenir et elles s'étaient fait leurs adieux. L'éclaireuse avait toujours fuit le moindre signe d'attachement et il en était un dans cette cité qui l'avait effrayée plus que tous les autres. Rowan de Dol Amroth, qu'était-il à l'époque? Une aventure, une connaissance, un amant? Toujours est-il que l'éclaireuse et le noble entretenaient une drôle de relation épisodique, quelques heures volées à chacune de ses visites dans la région. Et puis un jour les choses avaient évoluées, une lueur dans son regard, des mots différents. Et la brune avait fuit, effrayée par la perspective d'une union qu'elle n'était pas certaine de vouloir.

- Il est vrai que je n'ai laissé que peu d'explications lors de notre dernière rencontre, ajouta-t-elle, le temps m'était compté et j'en suis désolée.

Elle se remémorait la scène. La nuit était tombée lorsqu'elles s'étaient croisées, elle prête à prendre la route, furtive et silencieuse dans la ville endormie. Prise sur le fait par l'adolescente qui ne s'attendait pas à la trouver sur le point de fuir. Après tout elle n'avait pas laissé entendre qu'elle comptait partir si tôt. Quelques paroles échangées dans un chuchotement, des excuses empressées de sa part, un adieu et elle avait fuit sans demander son reste. Quelle vieille histoire! Elle n'était plus jamais revenue sur ses pas, n'osant pas se représenter dans les parages, de peur de tomber sur lui de nouveau et de devoir fournir de nouvelles explications. Pourquoi? Parce qu'elle détestait l'idée de se trouver enchaîner? Parce qu'elle ne se voyait pas se poser quelque part? Parce qu'elle n'était pas prête mais était trop froussarde pour l'avouer? Alors elle avait fuit, parce que c'était encore ce qu'il y avait eut de plus simple à faire. Les années s'étaient refermées sur ce triste épisode, cela faisait bien longtemps qu'Indira n'y avait pas repensé. Elle ne l'aurait probablement pas fait si Níniel n'était pas réapparue. Et que faisait-elle donc dans cette région isolée? L'éclaireuse fronça légèrement les sourcils à cette question. Il n'y avait aucune explication plausible à cela, tout d'une moins aucune qui ne lui vienne à l'esprit. Comment cette jeune fille de bonne famille se trouvait-elle à passer la nuit à des lieux de sa ville d'origine dans ce coin retiré du Rohan? Et seule! Mais ses questions attendraient et Indira tentait déjà de répondre à celle que lui avait posé la demoiselle. Pourquoi? Ca n'était pas aussi simple.

- J'imagine que plus rien ne me retenait dans cette cité, répondit-elle pensive, vous savez bien les liens qui m'unissaient à Lord Rowan? Mais il semble que nous n'en étions pas au même stade. Et les symboles d'attachement m'ont toujours donné envie de fuir. Mais je dois avouer que je ne m'attendais pas à vous croiser ici!

Comment expliquer qu'elle était partie car l'idée du mariage l'avait terrifiée? C'était plutôt succinct comme réponse mais il lui était difficile de revenir en détail sur l'inquiétude qui l'avait saisie lorsqu'elle avait finit par comprendre ce qui l'attendait. De l'appréhension et l'envie irrésistible de fuir sans demander son reste. Et vite! Mais il semblait que sa vis-a-vis avait également quelques drôle d'histoires à compter aux vues de sa situation présente.

Toutes deux avaient pris quelques secondes pour se regarder plus en détail. Après tout cela faisait si longtemps qu'elles ne s'étaient pas revues. Ca n'était pas sans remord qu'Indira avait laissé cette histoire derrière elle, loin de là. Et elle avait toujours un peu regretté sa fuite effrénée, sans pour autant savoir ce qu'elle aurait pu faire à la place. Rester à attendre? De quoi aurait-elle l'air en refusant catégoriquement cette union? Mais le regard perdu de Niniel lorsqu'elle s'était quittées ne l'avait jamais vraiment laissée, quelque part dans un recoin de sa mémoire. Un petit sourire vint ourler ses lèvres à sa réponse. Elle ne s'était jamais résolue à se couper les cheveux, s'attirant parfois quelques mésaventures avec des boucles aussi longues. Mais c'était l'une des rares vanités qu'elle se permettait encore. Sa main se porta à ses mèches brunes sans qu'elle le réalise réellement et elle s'arrêta, avant de laisser échapper un petit rire en s'en rendant compte.

- Ravie d'apprendre que les années ont été douces avec moi, répondit-elle amusée, mais on peut dire la même chose de vous même si vous avez mûrit depuis.

Elle disait cela comme un compliment, les traits de l'enfance s'étaient estompés face à l'âge adulte, même si certains détails étaient encore familiers. Et déjà les souvenirs remontaient doucement. Il avait suffit de quelques secondes pour qu'elle repense à ses nombreuses visites dans la cité, les moments qu'elle avait pu partager avec la jeune femme qui n'était qu'une adolescente à l'époque. Comment avait-elle vécu son départ? Indira avait consciencieusement tenté de ne pas trop s'appesantir sur ces événements, histoire de ne pas éprouver de regret après cet épisode. Plus facile à dire qu'à faire, surtout à présent que la jeune femme se trouvait devant elle et qu'elle avait tout loisir d'entendre sa version des faits. Elle n'avait pas tort, si pressée qu'elle était de mettre le plus de distance possible entre elle et Dol Amroth, la brune n'avait pris que le temps de faire ses adieux à demi mots. Quelques paroles chuchotées au détour d'un couloir sombre et déserté. Cela n'avait pas suffit à éclaircir la situation et c'était parfaitement compréhensible. Elle ne lui en voulait pas? Peut être que l'éclaireuse avait cru un temps que se serait le cas. Entendre cela la réconforta mais l'attrista également. Elle avait dut l'attendre les premier temps, alors qu'Indira était partie pour ne plus revenir.

- Malheureusement c'est plutôt l'inverse qui s'est produit, certains évènements m'ont empêchée de revenir. J'ai conscience que vous avoir laissée dans l'ignorance était injuste. Mais à l'époque je n'avais pas autant de recul.

Des excuses à demi mots pour sa disparition soudaine. C'était un euphémisme de dire qu'elle n'avait pas eut le temps de bien réfléchir à son plan, elle avait agit sur un coup de tête, motivée par la peur. Et déjà, sa réponse venait alimenter ses doutes quant au résultat de ses actes. Elle aurait du soupçonner que cela ne serait pas sans conséquence mais l'entendre parler de lui en ces termes avait de quoi surprendre. Ainsi, sa disparition avait causé plus de dégâts que ce dont elle se doutait. C'était à ce point? Si elle avait eut le loisir de se laisser aller à l'apitoiement, elle se serait probablement mise à amèrement regretter sa fuite, mais qu'y pouvait-elle à présent? Peut être que l'éclaireuse avait espéré secrètement qu'il refasse sa vie mais ça n'était apparemment pas le cas et elle réalisait seulement maintenant la réelle étendue du sinistre. Mais il n'était plus temps de ressasser le passé à présent que le mal était fait. Ca n'était pas comme si elle pouvait y changer quelque chose.

- Je n'imaginais pas que sa réaction prendrait une telle ampleur, murmura-t-elle avec un petit sourire nostalgique, c'est triste mais il est un peu tard pour réparer mes erreurs.

Et elle ne voyait pas bien ce qu'elle pourrait faire pour arranger ça. Elle n'allait pas se représenter là bas, surtout après ce que venait de lui apprendre la jeune femme. Et rien de ce qu'elle dirait n'effacerait le passé. Ce fut la suite de sa réponse qui l'intrigua. Mariée? A un menteur? Si elle osait s'avancer, Indira supposerait que la demoiselle fuyait Dol Amroth pour les mêmes raisons qui l'avaient poussée, elle, à disparaître, il y a des années de cela. Quel hasard cynique avait collé ses pas dans les siens? Sept ans auparavant, c'était elle qui empruntait cette route hasardeuse. Et à en croire le ton de sa voix et les mots employés, elle était encore plus déterminée qu'elle à échapper à cette union. Elles prenaient toutes les deux des airs de conspiratrices, à échanger leurs secrets à voix basses, de peur d'être entendues par des oreilles trop curieuses. Drôle d'endroit pour se remémorer le passé.

- Vous m'inquiétez, chuchota-t-elle en retour, ce fiancé que vous avaient choisi vos parents, c'est lui que vous fuyez ainsi? Mais que c'est-il donc passé?

Ca pouvait paraître étrange, mais Indira ne pu s'empêcher d'esquisser un petit sourire en l'entendant lui assurer qu'elle ne lui en voulait pas. Pourquoi cela l'aidait à se sentir mieux? A une époque, elle n'aurait eut aucun scrupule à agir de la sorte et voilà qu'elle se prenait à éprouver un rien de remord face à ses actions passées. Que lui arrivait-il? Elle avait bien changé en quelques années. Mais s'il y avait quelque chose qui n'avait pas bougé d'un pouce en elle, c'était sa capacité à s'attirer des ennuis. Toujours aussi impulsive, c'était le cas de le dire. C'était étrange qu'elles en soient là, six ans plus tard, à parler de toutes ces vieilles histoires. Et Indira retrouvait un peu de l'affection qu'elle avait pu éprouver pour la jeune fille de Dol Amroth. C'était si lointain mais pourtant familier. Comme un souvenir auquel elle n'avait pas repensé depuis longtemps mais qu'elle n'avait jamais pu oublier.

- Des imprévus, c'est le moins que l'on puisse dire, renchérit-elle, après tout, je n'aurais jamais imaginé vous revoir en de telles circonstances! Mais il est vrai que je n'ai pas pris le temps de m'appesantir sur la situation à l'époque.

Elle avait filé sans plus se retourner, reléguant ce triste épisode à un recoin obscur de son esprit, de crainte de trop y repenser. Le hasard capricieux les avait replacées sur la même route pour qu'elles se recroisent, un soir pluvieux sur les routes du Rohan. Indira se demandait vaguement s'il y avait une raison à tout cela, si leurs retrouvailles étaient censées vouloir dire quelque chose ou si c'était juste son imagination qui la travaillait. Mais déjà, la conversation s'éloignait des vieilles histoires. Il semblait que toutes les deux étaient prêtes à mettre le passé de côté. Enfin pas tant que ça puisque la demoiselle lui avouait à demi mots quelles ennuis la hantaient encore. Indira n'était pas loin de la vérité en se l'imaginant en fuite. L'amertume perçait dans sa voix, ainsi qu'une certaine inquiétude dans ses regards suspicieux. Elle n'avait évidemment pas envie que l'on surprenne leur conversation ou pire encore, qu'on la reconnaisse. Si elle avait réellement fuit la cité et ce mariage qu'elle ne voulait de toute évidence pas, c'était compréhensible. D'autant plus lorsqu'on connaissait l'identité du fameux fiancé qui devait avoir les moyen de la faire rechercher à travers toute la Terre du Milieu pour la faire ramener de force à Dol Amroth, au besoin. Le prince, rien que ça! Une expression lointaine se dessina sur les traits de l'éclaireuse, chacune fuyait ses propres fantômes mais elles se retrouvaient toutes les deux sur les routes. Malgré ses propres origines, Indira n'était pas mécontente d'avoir eut la vie qu'elle avait connu. Comment aurait-elle évolué si elle était restée au Khand? Qu'auraient fait ses parents? Lui auraient-ils également choisi un mari lorsque le temps serait venu ou l'auraient-ils laissé courir après ses envies d'indépendance? Elle ne saurait jamais, le sort s'était chargé de décider pour elle et la jeune femme n'avait pu que composer avec les circonstances. Au ton de Níniel , on comprenait bien qu'elle n'était toujours pas revenue de cet épisode. Et si elle ne le racontait que succinctement, on devinait que les circonstances étaient plus complexes qu'il n'y paraissait, suffisamment pour déclencher sa colère et sa fuite. Et Onôra soupçonnait sans le dire que cet ami disparu qu'elle avait mentionné n'était pas étranger face à l'ampleur de sa colère.

- Vous me voyez bien désolée d'entendre une telle chose, répondit-elle, ainsi il aurait voulu éloigner cette personne de vous?

Des affaires qui ne la regardaient probablement pas mais la jeune femme avait laissé parler sa curiosité. Quel gâchis d'imaginer une telle histoire! Elle aussi avait du affronter quelques épreuves. Faire face à l'inconnu, quitter sa cité pour se retrouver sur les routes, seule et sans ressources, avec de surcroît la crainte qu'on ne la retrouve. Cette histoire lui rappelait décidément un peu la sienne mais Indira espérait qu'elle s'éviterait quelques uns des ennuis qu'elle avait elle même pu connaître par le passé. Voyager en solitaire n'était pas des plus simples en ces temps troublés.

- Et avez vous une idée de ce que vous allez faire à présent? Demanda-t-elle

Fuir le sud, ça paraissait évident. Mais une intuition lui soufflait que s'il s'agissait de sa première idée, elle n'avait pas abandonné l'espoir de retrouver ce jeune homme que l'on avait éloigné d'elle. Si Indira pouvait faire le rapprochement, ils avaient du également le comprendre à Dol Amroth, ce qui rendait sa situation d'autant plus précaire.

Ca n'avait pas l'air d'être quelque chose dont la jeune femme parlait avec facilité. Ce qui était compréhensible. C'était un sujet plus que sensible et ça concernait des personnes avec qui elle avait grandit. Le sentiment de trahison devait être d'autant plus fort. Cela se voyait en tout cas à son expression et elle ne semblait pas prête à pardonner à son ancien fiancé. Indira se demandait vaguement ce qu'elle aurait fait si elle s'était trouvée dans une telle situation. Connaissant son tempérament, elle serait probablement restée pour des explications explosives avant de prendre la clé des champs. Mais ça n'était pas son histoire.
Son regard se fit nostalgique lorsque la jeune femme lui raconta comment cela c'était passé. Elle ne connaissait que trop bien ce refrain. Un jour ou l'autre, les gens finissaient toujours par changer, inexplicablement, le temps faisait son oeuvre et sans qu'on s'en rende vraiment compte, ce qui vous liait à l'autre n'était alors plus qu'un lointain souvenir. Níniel semblait plus perturbée encore par le fait que tout ceci soit orchestré par un ami d'enfance. Elle avait du avoir confiance en lui et voilà qu'il lui avait menti. Difficile d'en expliquer les raisons exactes ni de passer sur ce genre d'histoire, elle pouvait l'entendre.

- Je comprend votre trouble à ce sujet, répondit-elle, difficile d'expliquer ce genre de réaction et j'aurais moi même du mal à donner un avis sur le sujet. Mais peut être s'est-il effectivement senti menacé par la présence de votre ami. La jalousie nous fait faire de bien tristes choses hélas.

Cette histoire était en train de prendre des proportions plus grandes qu'une simple querelle entre jeunes adultes. Ils n'étaient pas n'importe qui et cela aurait pu avoir des conséquences sur le plan politique. Et au delà de ça, Adrahil avait tous les moyens à sa disposition pour retrouver sa promise. Níniel allait devoir se montrer prudente. Indira aurait détesté qu'elle se mette en danger ou soit la cible de représailles de la part du prince. Qui pouvait savoir ce qui se passait dans l'esprit de cet homme maintenant que sa fiancée avait disparue? L'orgueil pouvait déclencher des tas de réactions inattendues.
La jeune femme eut d'ailleurs l'air de réaliser quelque peu que les semaines qui l'attendaient seraient pleines de défis. Passer inaperçue dans ces contrées serait essentiel si elle tenait à ce que la nouvelle de sa présence au Rohan ne s'ébruite pas. Eviter les grandes villes et les auberges fréquentées, privilégier les routes secondaires. Rien de bien réjouissant en perspective mais surtout de quoi rallonger son parcours considérablement. Mais c'était le prix à payer pour un peu de discrétion. L'éclaireuse en savait quelque chose,c'était exactement le plan qu'elle suivait depuis qu'elle était partie de Minas Tirith. Un voyage angoissant mais qui avait eut l'air de porter ses fruits jusqu'à maintenant.

- Je vous conseillerais d'éviter les agglomérations fréquentées, répondit-elle, comme vous le dites si bien, vous aurez plus de chance d'être reconnue si vous vous présentez à Edoras et étiez vue. Il a probablement du envoyer des messagers dans la plupart des cités. Profitez de l'avance dont vous disposez pour prévoir votre route et si vous deviez vous rendre dans une ville, assurez vous de ne vous montrer qu'à des personnes de confiance.

Plus facile à dire qu'à faire, bien évidemment. Elle n'était pas à l'abri d'un imprévu. Sans compter que ce genre de périple en solitaire pouvait engendrer son lot de catastrophes en tout genre. Indira espérait qu'elle saurait s'adresser aux bonnes personnes et se sortir de ce pétrin rapidement. Surtout que, politiquement, la situation du Rohan était loin d'être au beau fixe et que les habitants avaient tendance à observer le moindre étranger d'un oeil plus que suspicieux. Et toutes les deux n'échappaient actuellement pas à la règle, Indira ayant surpris quelques regards posés sur leur duo. Méfiance pure ou autre chose? Elle espérait qu'on ne l'ai pas retrouvée ou que des gens venus de Dol Amroth ne soit pas sur le point de mettre la main sur Níniel. Difficile à évaluer. Les temps étaients à la méfiance et cela aurait tout aussi bien pu être des gens du coin qui se trouvaient surpris de voir deux jeunes femmes poser les pieds dans une bourgade aussi reculée. Tendue, l'éclaireuse jeta un oeil discret vers le duo attablé à l'autre bout de la salle qui les dévisageait avec plus ou moins de discrétion avant de se retourner vers la jeune femme, tentant de rester naturelle.

- Les gens sont de plus en plus méfiants ces derniers temps, chuchota-t-elle, je craint que nous ne soyons la cible de quelques regards.

Que faire? Elle était tentée de s'éclipser dès maintenant mais ignorait l'avis de sa cadette sur le sujet. Et cela aurait peut être eut pour effet d'amplifier l'air suspect qu'elles devaient arborer. Il pouvait tout aussi bien s'agir de bandits à la recherche d'une cible potentielle et la Variag n'était pas ravie à la perspective de devoir défendre ses possessions si l'envie les prenaient de s'attaquer à elles une fois sorties. Les possibilités étaient bien trop nombreuses et chaque solution engendrait un risque. Que faire? Discrètement, elle interrogea sa compagne du regard.

A l'expression nostalgique qui envahi les traits de la jeune femme, Indira se dit qu'elle aussi aurait bien aimé retrouver ses années d'insouciance. Elle ne s'en était pas si mal tirée jusqu'à présent mais la période actuelle comportait malheureusement son lots d'inquiétudes et d'erreurs en tout genre. Même si elle se prenait parfois à oublier les raisons qui l'avaient menée dans cette courses effrénée loin du Gondor. L'éclaireuse préférait ne pas se poser de questions sur l'avenir qui l'attendait, de peur d'en venir à des conclusions peu engageantes. Elle comprenait donc parfaitement ce qui pouvait perturber sa compagne d'un soir. L'idée qu'elle était très probablement poursuivie par des émissaires envoyés de Dol Amroth avait de quoi inquiéter, à n'en pas douter! De quoi se retourner au moindre regard suspicieux. Elle n'avait pas voulu l'inquiéter d'avantage avec ses conseils mais il fallait bien envisager toutes les possibilités et elle avait du elle même y penser de son côté de toute façon. Les parallèles dans leurs situations respectives ne cessaient de surprendre la Variag qui ne pouvait s'empêcher de se sentir étonnée. Quel hasard les avait mené toutes deux jusqu'à ce point précis, leurs histoires similaires en bien des aspects alors que rien ne pouvait laisser présager que la jeune fille de la noblesse marcherait un jour sur les traces de la voyageuse? Elle regrettait presque sa vie passée et Indira pouvait la comprendre, moins d'inquiétudes, moins de responsabilités et de risques, elle aussi l'aurait fait à sa place.

- Je vous souhaite de poursuivre votre route sans heurts, répondit-elle sur un petit sourire, peut être que le sort sera de votre côté? Mais je ne peux que comprendre votre nostalgie. Moi même je regrette parfois les années où je n'avais pas d'autre inquiétude que de décider de ce que j'allais faire de mes journées!

Douces années qui étaient passées bien trop vite hélas! La brune était mal placée pour expliquer à sa cadette qu'il faudrait un jour trouver une solution à cette situation mais il lui semblait que la sienne était un peu plus périlleuse en ce sens que son fiancé ne lâcherait pas aussi facilement l'affaire et qu'elle aurait trouvé terrible d'envisager le restant de ses jours à fuir telle une criminelle sans jamais pouvoir trouver le repos. Ca irait un temps mais à la longue, l'envie de se poser ne tarderait pas à la saisir. Que deviendrait-elle à ce moment là? Indira n'avait malheureusement pas de solution à apporter à cela, aussi se gardait-elle d'en parler à voix haute. Elle espérait que le prince finirait par abandonner cette traque et que son amie pourrait enfin se poser sans inquiétude. Mais ça ne risquait pas d'arriver de si tôt.

Mais les deux jeunes femmes avaient bien d'autres chats à fouetter. Le regard de la plus jeune s'était posé sur les hommes que lui avait indiqué l'éclaireuse et ses yeux s'étaient éclairés instantanément, apeurés. Elle aussi semblait douter des intentions de ces étrangers. Mais en même temps, Indira craignait de la laisser à la merci de ces hommes quelles que soient leurs motivations. Si elles étaient mal intentionnées, la brunette risquait de passer un sale quart d'heure. La Variag ne savait pas jusqu'à quel point elle savait se défendre et avec l'expérience, elle savait qu'il était difficile de se débarrasser de deux adversaires venus vous affronter.

- En êtes vous certaine? Chuchota-t-elle, en tout cas, je ne voudrais pas qu'il vous arrive malheur et à deux nous aurions plus de facilités à nous défendre. J'aurais des scrupules à vous laisser seule à présent. Peut être pouvons nous sortir et aviser par la suite?

Déjà, elle récupérait une pièce dans sa bourse, la posant sur la table à l'attention de l'aubergiste. L'averse s'était calmée à l'extérieur et Indira espérait qu'elle ne reprendrait pas de la nuit, s'épargnant ainsi une sortie sous des trombes d'eau. Peut être aurait-elle cette chance. Rien n'était moins sûr. Aucun des deux homme ne fit un geste lorsqu'elle invita la demoiselle à la suivre. Pas plus qu'ils ne bougèrent lorsqu'elles atteignirent l'extérieur. La jeune femme commençait à se demander si elle s'était réellement fait des idées. Mais sa méfiance naturelle la poussa à ne pas se montrer trop imprudente et elle resta la plus neutre possible alors qu'elle se décidait à reprendre le chemin des écuries.

- Voyons au moins s'ils se mettent à nous suivre, suggéra-t-elle, en tout les cas, qu'il s'agisse de poursuivants ou de bandit de grand chemin, mieux vaut être deux à les affronter.