Glorfindel • The brightest light casts the darkest shadow

When the will defies fear,
when duty throws the gauntlet down to fate,
when honor scorns to compromise with death...
That is heroism.

Glorfindel

Seule une poignée, parmi les mortels du moins, saisira jamais pleinement qui il est. Certains se permettront de le juger au premier regard… Ceux-là même qui vous diront, avec cette méfiance teintée d’appréhension dans les yeux, qu’il en est parmi les Premiers-Nés, surtout celui-là, qu’il vaut mieux éviter de rencontrer. Sans doute auront-ils croisé le regard limpide et sans âge de l’Elfe, au détour d’un chemin de cette Terre qu’il connaît si bien pour l’avoir tant parcourue, et n’auront-ils jamais oublié cette étrange sensation qui les a envahi. Clairvoyance ? Loin de là. Il n’est pas de ceux qui possèdent un don, mais les millénaires écoulés lui en appris beaucoup sur la nature des êtres. Il n’a plus la patience –l’a-t-il jamais eue ?– de laisser le temps dévoiler les caractères. Un regard, un échange, et il a jugé.
Orgueil que cette attitude ? Peut-être. Certains appellent cela de la fierté, d’autres y voient de l’arrogance. Qu’ils voient. Il n’en a que faire. S’il respecte nombre de ses semblables, voire même des membres d’autres peuples, il les respecte non pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font, et ne demande ni plus ni moins que la même chose en retour. Les opinions des rencontres éphémères à son égard ont cessé de lui importer depuis nombre d’années, à de rares exceptions.
Si l’avis des autres n’a que peu d’importance à ses yeux, il n’en est pas de même de la vie des autres. Jamais ne refusera-t-il son aide à quelqu’un qui en a cruellement besoin… à moins que cela ne mette en péril d’autres vies dont il a la responsabilité. Car telle est sa nature profonde : il est un meneur, un capitaine, en plus d’un combattant. De combien de batailles et de guerres a-t-il réchappés ? Chaque combat a été un déchirement, mais jamais il n’a perdu cette soif de vaincre le mal, la déchéance, la malfaisance. Il a appris de chaque défaite comme de chaque victoire, mais malgré les ennemis redoutables auxquels il a du faire face, il est toujours là. Cela, il le sait, et s’il n’en tire aucune fierté apparente, il aime à être considéré comme tel. Il en est, surtout parmi son peuple, qu'il tient en haute estime... mais il n'est plus le capitaine à qui l'on ordonnait, il n'est plus celui qui obéissait et prêtait allégeance. Trop d'années et trop de batailles se sont écoulées...
Cette sagesse et cette expérience acquise au cours des Âges, rares sont les fois où il les partage. Il parle peu, observe beaucoup, et ne doute pas que la Terre du Milieu et ceux qui la sillonnent peuvent encore le surprendre. Mais lorsqu’il sort du silence qu’on lui connaît souvent, il n’attend pas qu’on vienne douter de ses paroles. Chaque mot est mesuré et pensé, et il en est peu sur cette terre dont les doutes seraient bien accueillis. Il n’y a pas là que l’orgueil dont certains l’affublent : il a déjà été, à de nombreuses reprises, le témoin de l’aveuglement, de la déchéance et du malheur, et ne se permet des conseils que lorsqu’il le juge nécessaire… Car au fond de lui, une crainte ne le quitte jamais… Chaque bataille, chaque souvenir, chaque destruction le hante encore… Et peut-être est-il persuadé, sans oser se l’avouer à lui-même, que le Mal finira toujours par revenir…

A l’instar de tous les siens, il est grand, fin, élancé. Peut-être parmi les siens possède-t-il des traits plus fins encore, qui viennent adoucir un regard bleu pâle qui semblent vous transpercer de part en part. Froid et brûlant comme de la glace, tels sont l’impression que vous donnent ces deux iris bleu translucides lorsqu’ils se posent sur vous. Ce visage fin, souvent impassible, semble rendu plus pâle encore par les longs cheveux clairs qui l’encadrent. N’est-ce pas d’eux, ces cheveux d’un blond parfois d’or, parfois d’argent, qu’il tire jusqu’à son nom ? De ce corps svelte, surtout lorsqu’il combat, se dégage une indéniable impression de grâce, et peut-être aussi de violence. Les mouvements sont sec, calculés, décidés. Si autrefois il goûtait encore avec joie aux fastes de Gondolin, il préfère aujourd’hui de loin la simplicité, reflétant peut-être là aussi l’ombre des souvenirs qui ne le quittent jamais. Le plus souvent il porte une tenue de voyage simple et sa cape sombre, dsilhouette équestre sillonnant discrètement la Terre du Milieu, parfois trahie par un éclair de lumière blonde…

Ton histoire

Ils étaient en vie.

Les cris sinistres du carnage qui se déroulait derrière résonnaient dans toute la vallée, mais ils continuaient d’avancer, la peur au ventre et la tristesse au cœur.

Ils étaient en vie… Mais à quel prix ? Combien de vies immortelles saccagées ainsi ? Il observa autour de lui, leur misérable groupe de survivants qui gravissaient la pente rocheuse à petits pas, les Mères poussant les enfants, les quelques soldats moins blessés que les autres aidant les plus touchés. Combien atteindraient leur but. Leur but ? Quel but ? Que cherchaient-ils exactement ? Rien. Il n’y avait dans cette fuite que le sursaut désespéré d’avant la mort, l’ultime tentative de se raccrocher à un filament d’espoir.

Il s’arrêta et, lentement, comme s’il ne savait trop ce qu’il allait voir, il se retourna, posant son regard clair sur le dernier souvenir qu’il conserverait de cette cité qu’il avait vu naître, grandir et prospérer. Gondolin… La Cité Cachée, celle que son roi croyait avoir protégée de tout et de tous… Celle qu’on disait protégée d’Ulmo lui même… Du promontoire, où jadis se dressaient les tours immaculées, seules s’élevaient d’épaisses colonnes de fumée noire, gigantesques serpents de suie se pressant vers le ciel, avides de la lumière du Soleil qu’ils semblaient dévorer avec toujours plus de voracité. Le vert de la plaine n’était plus, noirci des innombrables servants du Mal qui convergeaient vers les ruines de la cité à l’agonie. Et sous le noir du ciel et sur le noir de la plaine, on pouvait encore apercevoir, ça et là, le blanc étincelant des murs de Gondolin, éclat de pureté refusant encore de céder totalement au Mal qui la détruisait sauvagement.

Son poing gauche se serra si fort que tout son bras en trembla, et dans un geste de rage, de tristesse et de douleur mêlés, il écrasa son poing sur la paroi rocheuse à côté de lui, fendant légèrement la pierre dans cet accès d’émotion pur.

Ils étaient en vie.

Mais ils n’avaient plus rien d’autre. Ils n’avaient plus de roi, ce guide qui avait toujours veillé sur eux, celui qui avait fait leur prospérité, Turgon le Sage, emporté en même temps que son œuvre de pierre. Ils n’avaient plus de cité, ces murs de beauté qu’ils avaient construit pas à pas, ces murs qu’ils avaient aimé, cette ville qui était devenue légende. Ils n’avaient plus de familles, plus d’amis, plus aucun de ceux qui avaient partagé et fait de leurs vies respectives ce qu’elles avaient été. Ils n’avaient plus rien.

Il avait échoué.

N’était-il pas Capitaine de cette cité ? Pour mon Roi N’avait-il pas prêté allégeance à ce Roi qu’il avait été incapable de protéger, de servir correctement ? Pour ma cité N’était-il pas Capitaine de la Cité Cachée, Gardien de la Septième Porte, Seigneur de la Maison de la Fleur d’Or, l’une des douze maisons de Gondolin ? Pour son peuple Ce peuple, ce peuple qu’il avait juré de protéger, d’aider, de défendre, voilà ce qu’il restait de ce peuple, un groupe d’âme perdues et meurtries à la dérive dans des terres qui leur paraissaient plus hostiles que jamais. Jusqu’à la mort. Et le voilà, le voilà en vie, échappé du sac de la cité qu’il avait juré de défendre de sa vie, après avoir vu tomber le Roi à qui il avait prêté allégeance, après avoir vu massacré le peuple pour qui il avait juré de donner jusqu’à sa vie, après avoir vu abattu l’ami dont il avait promis de ne jamais se séparer… Ecthelion… Il n’oublierait jamais ce regard, cette détermination féroce, cette silhouette blessée se dressant face à Gothmog….

Il avait échoué.

Le poing toujours écrasé contre la roche poisseuse, la tête baissée, son regard descendit naturellement vers cette armure qui, malgré le sang noir qui séchait à sa surface, la poussière et les affres du combat, demeurait intouchée, brillante en ses endroits propres, éclat doré dans cette nuit sans espoir. Et au bout d’un des bras de cette armure, encore fermement tenue par une main serrée sur sa garde, la longue lame pâle, intouchée malgré les nombreux ennemis qu’elle avait abattus. Cette lame blanche et pure qu’on avait baptisée Jai Mânithil, l’Eclat de Lune, depuis Nírnaeth Arnoediad. L’éclat de lumière dans la nuit, lui avait-on dit.

Il se redressa finalement, et sans un mot de plus, le cortège miséreux reprit sa route. Ils marchèrent, grimpèrent, peinèrent. Et enfin arriva Cirith Thoronath, le Col des Aigles. Ils crurent enfin, que leurs peines allaient être éclairées d’un peu de lumière, que l’espoir était à nouveau permis.

Et c’est alors que tout bascula. Des Orcs surgirent, extirpant leurs carcasses putrides hors de trous où ils s’étaient cachés en embuscade. Mais ce ne fut pas cela que les Réchappés virent. Leurs yeux, emplis d’une terreur nouvelle, scrutaient cette silhouette cauchemardesque qui venait de se dresser devant eux. Noire comme Morgoth lui même et rougeoyante du feu des entrailles dont elle était extraite. La Flamme et l’Ombre.

Il n’y avait qu’un seul regard, parmi l’assistance médusée, où ne brillait aucune peur. Un regard soudain empli d’une rage nouvelle, fou du désespoir et de la douleur infligée, décidé à honorer la promesse qu'il estimait avoir bafouée. Car dans ce groupe il y avait Idril et Tuor et Eärendil… Et il ne les laisserait pas périr. Pas après avoir survécu à la Chute de Gondolin.

Alors, devant le rougeoiement maléfique de la Flamme et la noirceur invincible de l’Ombre, un guerrier s’avança. Et sous ce ciel de suie, sous ce Jour rendu Nuit, brilla l’argent de Jai Mânithil et le doré de son armure et la lumière de ses cheveux blonds. Car tel était son nom, « cheveux d’or », qui dans l'ancienne langue des Eldar se disait Laurefindil, mais qui en Sindarin se dit tout autrement :

Glorfindel.



Le vent, soudain plus fort, gonfla plus fort la voile, et la coque de bois fendit l’eau avec soudain plus de précision. Ils approchaient. Sa main se resserra sur le gouvernail, mais le reste de son visage resta impassible. Ses yeux clairs jetèrent un dernier regard en arrière. Il revenait. Pourquoi ? A vrai dire il n’en savait rien. Son cœur n’était plus ici. Gondolin n’était plus. Beleriand n’était plus. Un âge et demi s’était écoulé, et il revenait. Son regard se détacha de l’horizon derrière lui, et se porta de nouveau sur leur destination. Tout ceux qu’il avait connus étaient en Aman, ou attendaient encore auprès de Námo… Un visage doux, entouré de cheveux sombres, lui revint en mémoire, et acheva d’éteindre son cœur. Quand la reverrait-il ? Quand quitterait-il de nouveau ces rives, si jamais il y survivait ?

Ses iris croisèrent ceux, indéchiffrables, d’un des deux Istari. On les avait appelés. Dans les missives qui leur étaient parvenues, un nom avait jeté sur Aman un souffle glacé, un doute dont personne ne voulait parler, une peur qu’on n’osait pas avouer. Il était revenu. Le Mal, à nouveau, s’était réveillé. Et il semblait pire encore. Pourquoi était-il là ? Qu’espéraient les Valars de lui ? Qui était-il pour répondre à cet appel à l’aide, alors que son cœur, encore hanté des ombres de Gondolin, restait en Aman ?

Les terres approchaient. Sous peu, il retrouverait ceux qui, sans qu’il les ait connus, étaient aussi les siens. Mais il ne savait pas encore que ce qui l’attendait était bien plus grand que ce qu’il avait imaginé. Il ne savait pas encore que l’Anneau dont allaient lui parler les Elfes deviendrait le plus grand fléau de la Terre du Milieu. Il ne savait pas encore les bouleversements que provoquerait cette civilisation prospère qu’était alors Numénor. Non, alors qu’il dirigeaient lentement son bateau vers des terres qu’il ne connaissait pas encore… il ne savait pas.

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