Il n'est pas rare que mes pas me portent dans des villes et des villages, très loin du territoire des elfes. En ces temps troublés, j'ai quitté Fornost depuis quelques jours à peine, choisissant de me rendre en Esgaroth, où je sais que le maire m’accueillera bien, comme à chacun de mes passages. Après une nuit de repos, l'auberge accueille ma présence, et je commence à utiliser mes dons et mes herbes pour tenter de calmer les maux des habitants de la ville, comme dans toutes les villes où je m'arrête. La journée a été longue pour moi, et je m'accorde un repas bien mérité en début de soirée, lorsqu'un homme me demande un entretien privé.
Un sourire sur mon visage, je me déplace lentement vers un coin plus tranquille, et je l'écoute avec attention m'expliquer son problème. Sa fille de douze ans est partie depuis trois jours pour rechercher une herbe dans la forêt noire, et elle n'est toujours pas revenue. Or, la clairière où pousse cette herbe n'est qu'à quelques heures de marche. L'homme a peur qu'il lui soit arrivé quelque chose, et il ne peut partir lui même : il a deux autres enfants en bas âge, et sa femme est morte depuis deux mois, lors de la naissance du plus jeune de ses enfants.
Son histoire m'émeut, et je décide de commencer par faire un détour par sa maison pour vérifier que le bébé va bien avant de prendre lentement le chemin de l'entrée de la ville.
Deuxième journée à Lacville pour la jeune femme, et autant dire que celle-ci se poursuivait magnifiquement bien. Les yeux creusés par le manque flagrant de sommeil, c'était à peine si Aïden tenait correctement ses couverts en main. Son attention laissait clairement à désirer, tout comme sa motivation, alors qu'elle ne faisait jusqu'à présent attendre, le menton nonchalamment posé dans sa main tout en brassant d'un air affligé la bouillie de sa cuillère en bois. Le dîner à l'auberge ne payait pas de mine mais son estomac la remercia de sa bonté comme elle se décidait enfin à manger, elle qui comptait faire un dernier tour sur cette ville flottante sans s'offrir un nouveau met pour l'heure, à l'affût d'un souvenir légalement acquis ou presque. Lorsque la rôdeuse eut fini son bol, elle donna juste assez pour régler la note au comptoir. Cet argent durement gagné, après bien vingt minutes de course poursuite des semaines plus tôt, lui était précieux quand la vagabonde avait dans l'idée de faire bonne impression, et inutile ici de voler quoi que ce soit de plus. Ce fut donc le ventre apaisé qu'Aïden tourna sans plus tarder les talons vers la sortie tout en enfilant rapidement ses gants. Elle avait bien repéré une ou deux bâtisses plus convaincantes que les autres, dont celle de cet homme à l'anneau blanc qu'un marchand lui avait mentionné plus tôt. Restait à savoir qui y vivaient et surtout quand les propriétaires risquaient de s'absenter. Ou bien attendre que le sommeil les submerge, tout simplement. La jeune femme déambulait ainsi dans Esgaroth, redécouvrant le paysage, au moment où son regard s'accrocha sur un être à l'allure atypique, à quelques mètres de là. Trop grand pour être un hobbit, pour sûr. Trop élégant et fin pour être de cette ville, voir même un Homme au vu de ses oreilles. Un elfe. Aïden n'avait jamais eu l'occasion d'en côtoyer un encore et, sa curiosité piquée au vif, elle se demanda ce qui l'amenait ici. L'elfe quittait vraisemblablement l'endroit et semblait résolut à se rendre dans la Forêt Noire. Peut-être s'en retournait-elle chez elle ? Quoi qu'il en était, quelque chose poussa Aïden à la suivre. À bonne distance, bien entendu.
Il n’est pas rare que j’accepte d’aider certaines personnes qui savent me le demander avec simplicité et bonté. C’est pour ça que, alors que la nuit enveloppe déjà depuis un long moment les rues de la ville du lac, que je me déplace sans un bruit dans la neige qui tombe lentement. Le froid me prend toute envie de continuer, cependant, il faut réellement que je continue. Cette demoiselle perdue dans la forêt, je ne peux pas la laisser seule, et finalement c’est ça qui me pousse. Cette fille est perdue, seule, dans la neige qui recouvre chaque parcelle de ce monde depuis de bien trop nombreux mois.
A mon poignet droit se trouve mon katar rétractable, et dans mon dos est attachée une épée courte, mes armes de prédilection. Rares sont les elfes qui préfèrent l’acier aux flèches, et j’en fais partie depuis toujours. Ma nature calme et placide de guérisseuse sait laisser la place à une guerrière farouche lorsque j’en ai besoin. Mais, comme je voyage la plupart du temps seule, il me faut un art du combat qui me permet d’être au centre de la bataille pour tenter de réellement sauver ma peau. L’arc n’est pas un bon moyen de s’en sortir quand on sait que cette arme a besoin que son porteur s’éloigne de la mêlée.
Alors que j’avance donc à l’orée de la forêt, quelque chose attire mon attention, et je me retourne vivement. Mon poignet droit fait ce mouvement vif qui fait sortir les trois lames du katar et je m’immobilise en voyant une jeune femme face à moi.
- Bonsoir, voyageuse.
Je baisse mon bras et contemple la jeune fille et je souris, avant de désigner la forêt. Je dois y aller, et je n’ai pas de temps à perdre en palabres.
- Je suis à la recherche d’une enfant qui s’est perdue dans la forêt. M’accompagnerez-vous ?
Aïden était passée maître dans l'art de la discrétion, au fil du temps. Mais il fallait croire que l'ouïe des elfes ne pouvait ignorer même le plus silencieux des Hommes. En y réfléchissant bien, la jeune femme savait cette tentative d'espionnage vaine, surtout avec cette neige. Duper un elfe ? Un rêve bien farfelu pour quelqu'un de sa condition. Elle ne put néanmoins s'empêcher de paraître étonnée face à l'assurance et au calme de cet être aux oreilles pointues, qui ne doutait visiblement pas de sa bienveillance. Naïveté de cette race ou bien sixième sens, la vagabonde ne sut dire. Les armes baissées, elle la salua brièvement et lui proposa de se joindre à elle dans cette mission de sauvetage, au cœur de la forêt noire. Aïden n'avait rien à perdre, rien à gagner non plus, et pourtant elle approuva cette proposition d'un bref hochement de tête accompagné d'un léger sourire, avant de lui emboîter le pas. Longtemps, elle avait écouté des récits parlant de ces bons samaritains et en apprendre davantage à leur sujet l'enchantait réellement. À vrai dire, la jeune femme enviait leur pas léger, leur dextérité, cette grace qu'ils dégageaient aux moindres gestes et leurs manières amusantes. Et puis la raison de cette expédition restait noble.
Aussi silencieuse que soit cette jeune humaine, il faut avouer qu'elle m'intrigue. Si la neige n'avait pas craqué sous son pied, je ne me serais peut être même pas rendu compte de sa présence dans ce bois. Je dirige mes pas vers l'endroit où sont censées pousser les herbes, et donc où doit se trouver cette enfant, tout en jetant quelques regards en coin à ma compagne de route, avant de briser le silence qui s'éternise entre nous.
- Je me nomme Elinà, je suis une elfe de la forêt que vous nommez Lorien.
J'espère ainsi inciter la demoiselle à mon coté à bavarder un peu, même si le lieu serait plus propice au silence éternel. La forêt de Mirkwood n'a jamais été un lieu de paix pour moi, comme ses arbres biscornus savent projeter des ombres terrifiantes, même pour le coeur d'une elfe de près de trois mille ans.
"Qu'est-ce qu'une elfe de la Lorien fait à Esgaroth ?"
La pensée, qui vint effleurer l'esprit d'Aïden, se changea en son avant même qu'elle ne s'en rende compte. Bien que les mots furent quelque peu étouffés par la neige, ils avaient franchi les lèvres de la jeune femme de manière tout à fait audible. Elle s'excusa rapidement de son impolitesse, fixant un instant ses pieds tandis que la gêne vint teinter légèrement ses joues. Cela ne la concernait pas. La voleuse continua alors à marcher tout en prenant garde à ne pas empiéter sur la vie privée d'Elinà. Ce fut pourquoi le silence les sépara à nouveau, même si mille questions lui brûlaient les lèvres.
"Je n'ai jamais eu l'occasion de m'attarder sur ces terres, seulement entendu quelques histoires ressemblant bien plus à des légendes pour moi, tant l'endroit semble irréel...", finit-elle par avouer.
Elle se tut quelques instants, songeuse, son regard bleuté caressant inlassablement cet horizon immaculé qui s'étendait devant elles, à perte de vue. Aïden espéra secrètement bientôt rencontrer cette fillette et quitter au plus vite cette atmosphère austère.
- J’aime les voyages. J’y rencontre ainsi de nombreuses personnes étonnantes, et je peux utiliser mes dons pour soigner les gens que je croise.
Un sourire monte à mes lèvres, nullement surprise d’entendre la légendaire spontanéité des humains. Au contraire, après tous les protocoles que les miens ont la mauvaise habitude de faire, c’est presque rafraichissant. Alors, voilà, je ne le prendrais pas mal. Et puis, vu le nombre des années, j’avais bien l’impression que tous les humains autour de moi étaient des enfants que l’on doit guider. Leur vie est plus courte, la plupart du temps, que ce qu’il nous faut à nous pour arriver à maturité.
- La Lorien est… l’un des plus beaux endroits que j’ai jamais vus. Les arbres donnent l’impression qu’ils sont faits d’or vibrant sous les reflets du soleil. Caràs Galadhon, la cité de Dame Galadriel et de son époux, le seigneur Celeborn est perchée en haut d’arbres si gros qu’ils vous donneront l’impression d’être plus énormes que vos maisons.
La nostalgie de l’endroit qui m’avait vue grandir emplit mon cœur, et je souris légèrement, le regard perdu vers les arbres de la forêt noire. Non, il n’y a rien à voir ici avec la Lorien. Le mal qui y règne est né de cette cité profondément maléfique qu’est Dol Guldur. La puanteur maléfique se répand jusqu’ici, à des centaines de lieu de cet endroit affreux.
Mes pas me portent jusqu’à cet endroit où je sais trouver l’enfant, d’après les informations de sa sœur. Un sourire monte à mes lèvres, mais en poussant les herbes glacées je ne peux que m’avouer vaincue : ici nulle trace d’une enfant, mais je reconnais sur le sol les marques des pattes d’une araignée dans la neige fraiche. Lutte il y a eu, et nous ne devons qu’à ma hâte de me jeter à la poursuite de la demoiselle qu’elles ne se soient pas effacées. Je me tourne alors vers ma compagne et m’incline devant elle :
- Si vous trouvez trop dangereuse la route jusqu’à cette enfant, restez ici. Je vais suivre les traces de l’araignée. Elle n’a que peu d’avance sur nous, et nous devrions la rattraper bien vite.
Je dégaine l’épée qui se trouve dans mon dos de la main gauche. Pas question que j’utilise ma main droite pour ce combat. J’ai toujours été plus habile de la gauche, et bien que certains n’aiment pas trop me voir utiliser la gauche, car ils se sentent désavantagés lors d’affrontements réguliers par ce style de combat différent, je n’ai jamais cessé de m’entrainer des deux mains. Je ne sortirais mes katars que si je n’ai pas le choix, car conserver les araignées à distance ne peut que m’être bénéfique. Leurs crocs acérés et emplit de poisons sauraient avoir raison de ma résistance, et je finirais dans un de leur cocon à la moindre seconde d’inattention .
Cette elfe était décidemment d'une bonté tout à fait admirable, et Aïden se demanda secrètement si tous les elfes lui ressemblaient. Sans doute que non, car après tout chacun est unique et ne s'embarrasse pas forcément du moule dans lequel on l'a jeté afin de refléter toute une race. Évidemment, il y avait des traits communs entre individus appartenant à un même peuple, et peut-être que ce qui s'apparentait à une grande sensibilité caractérisait celui des elfes; ces êtres étant libres d'œuvrer pour le Bien, le Mal, ou alors de fermer les yeux face à la douleur du monde qui les entoure. Quoi qu'il en était, la jeune femme écoutait attentivement Elinà conter toute la beauté de sa ville natale. C'était tel un rêve. Un rêve éveillé. Et l'envie de redécouvrir cet endroit de ses propres yeux la submergea, alors qu'un doux sourire épousait ses lèvres. Oui, ce devait être merveilleux. Les paroles touchèrent Aïden au point où elle y eut la sensation que chaque mot s'imprégnait en elle en même temps que le paysage se peignait dans son esprit. Un léger frisson la ramena au moment présent et la vagabonde perçut aussitôt le regard inquiet de l'elfe, qui fit instantanément tomber l'air enchanté d'Aïden. Ses yeux curieux observèrent un instant les empreintes figées dans la neige tandis qu'Elinà la mit en garde concernant la menace à venir. Dangereux ? Araignées ? Des créatures maléfiques en ces lieux, il était vrai, mais l'humaine se voyait mal fausser compagnie à Elinà au moment où elle aurait probablement le plus besoin de soutien. Enfin, soutien... Un sourire étira les lèvres d'Aïden et un léger rire secoua ses épaules à cette pensée. L'elfe n'avait certainement pas besoin d'une épaule sur laquelle s'appuyer et la jeune femme pouvait tout aussi bien s'avérer être un énorme fardeau. Néanmoins, une paire d'yeux supplémentaires pour contrôler le danger et éviter une situation périlleuse n'était pas pour autant négligeable. Et puis, le nombre fait la force. N'écoutant que son courage, Aïden remercia la bienveillance d'Elinà et s'élança sur les traces de la créature à ses côtés, armant déjà l'arc devant elle.
Visiblement, la demoiselle choisit de venir avec moi. Je réalise alors que je ne connais toujours pas son nom, bien que je lui aie dit le mien. Ma lame à nu, j’avance dans le chemin recouvert de neige, avançant rapidement de mon pas léger. Je l’entends me suivre, et sans un mot je suis les traces qui me mènent bien trop rapidement face à la première araignée, dont je me débarasse en quelques coups de lame rapides. Je n’ai pas le temps cependant d’apprécier ma victoire que le cri d’un enfant me fait reprendre ma course sans prendre le temps de réfléchir, laissant là le cadavre dans la neige encore fraiche. Une petite fille d’environ douze ans me rentra dedans, manquant de me faire tomber, et je la rattrapais par les épaules pour l’arrêter.
- chuut… chut, ça va aller.
Me tournant vers Aiden, je jette un dernier regard vers ce qui se trouve devant nous avant de secouer la tête.
- J’ai peur que ce qu’il se trouve là bas ne soit trop gros pour nous. Nous devons fuir, et vite.
Ma main sur l’épaule de l’enfant tremblante, je ne perds pas de temps à lui demander ce qu’il s’est passé pour elle, au contraire. Temps est venu de rentrer à Esgaroth, et en courant.
Aïden s'était contentée de suivre Elinà plus qu'autre chose à vrai dire. Il fallait avouer que cette elfe dégageait parfait contrôle, fermeté, sagesse même, et les directives lui revenaient pleinement. Après tout, il s'agissait de sa mission à elle, la voleuse se proposait simplement en tant que soutien, si nécessaire. La jeune femme avait bandé son arc lorsqu'elles tombèrent nez à nez sur l'araignée, mais c'était simplement pour mieux le rebaisser. Force était de constater qu'apporter son aide ou non ne changeait strictement rien au dénouement du combat puisque la voyageuse acheva haut la main la bête répugnante. D'ailleurs, Aïden en vint même à se demander pourquoi elle avait insisté pour arpenter cette forêt enneigée au vu de cette surprenante facilité. Enfin, elles retrouvèrent la fillette perdue. Ou plutôt l'inverse. Elle avait l'air terrifié, et cela inquiéta quelque peu la vagabonde. Néanmoins, elle n'eut le temps de se poser davantage de questions, Elinà lui intimant de prendre ses jambes à son cou. Et elle ne se fit pas prier, bien qu'Aïden s'attendait à ce que l'elfe brave vaillamment ce danger.
J’aurais peut-être préféré combattre les araignées. En fait, si j’avais été seule, et non avec une presque inconnue qui ne parle que peu, et une enfant qui refusait de me lâcher avec moi, j’aurais combattu les araignées, parce que c’était la meilleure chose à faire. Parce qu’éradiquer ces créatures était une chose absolument indispensable. Mais, là, je n’étais pas seule, loin de là, et je ne savais pas ce que valaient mes compagnes au combat. Alors, non, la meilleure solution était de rentrer le plus rapidement possible, avant que quiconque ne soit blessé. Là, pour le coup, je n’avais vraiment pas envie d’avoir deux patientes de plus, surtout à cette heure de la nuit. Non, vraiment, ce ne serait pas une bonne idée. Ce serait mieux de rentrer à Esgaroth le plus rapidement possible.
Ma course entre les arbres était guidée par mes sens aiguisés, et finalement, je me retrouvais obligée de m’arrêter car la gamine avait fait une chute. Mon regard inquiet commença par se poser sur la forêt avant de soulever l’enfant pour la prendre dans mes bras. La course a repris, et nous avons fini par atteindre le ponton qui mène à la ville, où j’ai salué ma compagne d’infortune.
- Merci de m’avoir accompagnée. Je vais aller rendre cette enfant à sa famille et voir comment sa mère va.