Nous dormons dans le noir pour que nos ombres puissent continuer à nous poursuivre.

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Chapitre 1
C'était un jour de printemps. Un jour où une brise légère soulevait les feuilles d'un vert éclatant, et faisait vibrer les fleurs des prairies, emportant ainsi quelques pétales dans son sillage. Un jour où l'eau de la rivière coulait rapidement, comme si rien ne pourrait rompre son cours, volonté inébranlable. Un jour où la nature était reine. Ce fut ce jour où s'élevèrent des cris enfantins, qui se mêlèrent aux bruissements de la nature. Douce joie qui envahit le cœur de deux êtres aimés et qui s'aiment lorsque le fruit d'un amour est concrétisé : Ambrethil était née.


Isyë lança un regard attendri à la jolie petite créature qui bondissait dans le champ, à la poursuite d'un papillon azur. Elle était son ange, son cadeau du ciel, et chaque jour depuis son arrivée au monde n'avait été que bonheur. Elle sentit des bras protecteur s'enrouler autour de sa taille, et elle sut que c'était Numaën. L'homme qu'elle aimait, qu'elle aime, et qu'elle aimerait jusqu'à ce que la mort les sépare. Ils pouvaient rester des heures à l'observer, et se montraient une patience infinie lorsqu'il s'agissait de répondre aux innombrables questions de la petite curieuse. Elle était parfaite à leurs yeux, parfaite dans sa douceur, dans sa générosité, dans sa soif de savoir insatiable et de sa maturité incroyable pour son âge. Elle était parfaite dans ses imperfections, parfaite dans son obstination, dans ses mimiques boudeuses, et ses fausses colères. Lorsque les deux elfes posaient leur regard sur leur progéniture, ils ne pouvaient que l'admirer. C'était leur petite ingénue, enfermée dans son propre monde, loin des problèmes qui régissaient le leur. Elle vivait dans une dimension qui échappait à leur conscience parce que sans doute trop naïve, trop utopique. Oh, ils ne pourront s'empêcher de vouloir préserver ce monde fragile, comme ils ne pourront s'empêcher de verser des larmes lorsqu'il se brisera, laissant place à la douleur de ce monde-là. 


  
Éclats de rires et feux d'artifices. C'était aujourd'hui la grande fête d'anniversaire d'Ambrethil, qui avait maintenant cent belles années à son actif. Elle était devenue une elfe séduisante, par ses grands yeux bruns innocents, par ses lèvres rosées, par sa longue chevelure brune soyeuse et sa taille fine. Elle fêtait ces cent années de bonheur, de bêtises, d'apprentissage et de jeux en tout genre. Tant de temps passé, elle se souvenait encore de ses nombreuses ballades dans la forêt, où elle avait appris à connaitre chaque fleur, chaque arbre, chaque plante, chaque oiseau. Jamais elle n'avait perdu sa curiosité enfantine et il lui semblait encore avoir tellement de choses à connaître ! Elle n'avait, en réalité, pas réellement changé. Toujours douce, malicieuse, elle n'avait jamais été trop turbulente, mais avait souvent joué des tours à de nombreux elfes, qui lui en avait rarement tenu vigueur. Le temps des responsabilités était encore loin, ses parents désirant lui laisser assez de liberté. Libre, elle l'était. Souvent, on ne la voyait pas réapparaître pendant des jours, suite à l'envie d'aller parcourir les alentours plus en profondeur. Tout se passait bien, jusqu'à ce qu'un elfe lui propose de se promener dans les bois. Ils se connaissaient, et se fréquentaient depuis longtemps, aussi, ils étaient étrangement attirés l'un par l'autre. Pourtant, alors qu'ils admiraient le coucher de soleil, assis sur une souche de bois, tout bascula.




Chapitre 2

Tu n'as pas le temps de réfléchir, pas le temps de penser, concentrée seulement sur les cris et les bruits de pas qui résonnent derrière toi, en écho avec les battements de son cœur qui s'accélèrent. Que font-ils ici, si près de tout ce que tu aimes ? Ta robe t'empêche de courir aussi vite que tu le désirerais et tu les entends, tu les entends qui se rapprochent inexorablement de la petite proie que tu es. Tu t'es aventurée trop loin, trop loin. Ils t'avaient dit, pourtant, que plus l'on s'avançait plus le monde dépérissait. Pourquoi ne les avaient tu pas écouté ? Pourquoi l'avais-tu suivi ? Des larmes coulent sans discontinuer sur tes pâles joues alors que tu découvres pour la première fois le sentiment de peur. Ton pied bute contre une racine et tu sens ton poids t'entraîner. Tu sens ton visage entrer en contact avec le sol et tu tentes de te relever maladroitement. Soudain, tu est tirée en arrière, une main énorme a saisi tes cheveux. Le contact rugueux de ses mains sur tes épaules te fit frissonner, et tu découvres un monstre. Cauchemardesque, que tu n'aurais jamais cru réel si tu n'avais pas lu des livres à ce sujet. Un orc. Tu n'osais plus bouger, plus faire un seul mouvement alors qu'un sourire tordu se dessinait sur ce visage couvert de cicatrices. Allait-il te tuer ? Te torturer ? Un être aussi mauvais ne pouvait certainement pas exister. Tu croyais intensément en la bonté des êtres. Pour toi, c'était impossible d'être totalement noir, comme ça l'était d'être totalement blanc. Le monde est une palette de couleur, oscillant entre le gris foncé et le gris clair. C'est comme cela que tu le vois, nuancé. Jamais personne ne pourra atteindre la perfection du noir comme la perfection du blanc. Tes lèvres s'entrouvrirent pour poser la question qui te tenait tant à cœur. « Êtes vous totalement noir ?  » Tu n'eus pas le temps d'entendre sa réponse à ta question qui n'avait sans doute aucun sens pour lui puisque tu sentis un choc douloureux au niveau de ta tête, et fus aspirée par les méandres de l'inconscience.



Tu grimaces au souvenir de cette maudite journée, souvenir qui, tu le croyais, t'aurais permis d'oublier quelques instants ton corps meurtri et ensanglanté. Cela faisait bien longtemps que tu ne leur offrait plus la satisfaction de te voir crier et pleurer. Tu n'avais de toute manière plus de larmes à verser. Elles s'étaient toutes taries lorsque tu avais compris qu'ils ne viendraient pas te sauver.  Oh, tu avais attendu, attendu ton père, ta mère. A chaque bruit de pas que tu entendais, tu avais l'espoir de voir apparaître ces visages si désirés, et aujourd'hui si détestés. Tu ne pouvais compter que sur toi-même, et le nombre de fois où tu avais tenté de t'évader ne se comptaient plus sur les doigts de la main depuis longtemps. Pourtant, tu avais beau dire que tu t'habituerais aux lancinants coups de fouets qui pleuvaient sur ta peau, chaque fois que la lanière pénétrait ta chair, tu ressentais toujours cette douleur, intense, sauvage. Cette douleur qui te faisait imaginer mille et unes façons de torturer tes geôliers, toutes plus sanglantes les unes que les autres. Perdue, l'innocence qui te caractérisait autrefois. Tu étais seule et, tu le pressentais, tu le resterais à la fin de tes jours. Tous ce qui t'entoure, tu le hais. Ta famille tu la hais, ces orcs, tu les hais, tu hais ce monde de t'avoir conduite jusqu'ici.
UC